Tribune
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Publié le 26 Janvier 2015

Charlie Hebdo : fusion et confusions après le massacre

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Par Jacques Tarnero, Essayiste, publié dans le Huffington Post le 26 janvier 2015
Les grands élans émotionnels ont leur vertu: ils agissent comme pansement et consolation après le drame. Ils ont un tort: ils font illusion et « l'après Charlie » n'y déroge pas. Tous les unanimes « je suis Charlie » ou « nous sommes un peuple » ont dû être revus à la baisse devant les refus de la minute de silence par un certain nombre d'élèves et les nombreux « je ne suis pas Charlie » ont aussi apporté un démenti dans cette grande fusion. Personne ne s'est avisé à proposer un « je suis Juif » dans des classes du 9-3. Le test aurait été intéressant. Désormais ce sont les « je suis Gaza » qui fleurissent sur la toile.
Il faut donc penser « l'après ». Bien évidemment, mais pour penser cet « après » il faudrait alors être capable d'effectuer un retour sur soi, capable de développer un regard critique sur ce qui a permis non seulement à ces jeunes français de devenir des Islamistes tueurs mais aussi analyser les constructions intellectuelles qui les ont entourés.
Il est surprenant par exemple de retrouver dans le numéro spécial de Libération, la signature d'Etienne Balibar, grand pourfendeur de tous les méfaits passés, présents et à venir de l'Etat d'Israël, dire sa leçon avec la même assurance : « lucidité particulière mais sans réticence (...) communauté n'est pas sans exclusive (...) les épisodes les plus sinistres de notre histoire (...) boucs émissaires de nos peurs (...) séduits par la prose de Houellebecq (...) une saine provocation (...) imprudents (...) le sentiment d'humiliation de millions d'hommes déjà stigmatisés (...) politiques sécuritaires mises en œuvre par des Etats de plus en plus militarisés...»
Pas un mot sur la part spécifiquement antijuive des crimes du magasin casher. Tant d'aveuglement idéologique et tant de contre-vérités émises par l'éminent philosophe font que le doute sur sa lucidité sans réticence s'impose. Autre perle tirée du journal des lecteurs de Marianne, « Indignez-vous ! Merci monsieur Stéphane Hessel ! » écrit un lecteur. Oui vraiment merci à celui qui est allé à Gaza, accompagné de Régis Debray, serrer la main du chef du Hamas et encore merci à ce saint homme qui affirmait devant des lycéens, en France, que les roquettes tirées sur Israël étaient d'innocents jouets pour enfants.
Le Point n'est pas en manque de confusion quand François Kersaudy y écrit au sein d'une longue analyse censée décrypter le moment présent : "S'il est vrai que le fanatisme Islamiste a tué bien plus de Musulmans que de Juifs et de Chrétiens, il est également vrai que le fanatisme Juif a assassiné autant de Musulmans que de Chrétiens et de Juifs - depuis le comte Folke Bernadotte jusqu'au Premier Ministre Yitzhak Rabin." Des précisions monsieur Kersaudy ! De quoi parlez-vous ? De Der Yassine, du King David, de l'Irgoun ? Et vous êtes sérieux en mettant cela sur le même plan que Boko Haram ou le 11-Septembre ? Ce souci de l'équilibre met à mal la volonté prétendue de « sortir de l'angélisme ». Le pompon revient à la couverture de l'Obs qui n'est plus « nouvel » mais qui radote: « Continuons le combat ! » Il ne manque juste que « ce n'est qu'un début ! ». Image de la statue, place de la République. Ah ! Mai 68 ! De quel combat s'agit-il ? Le seul qui ait été mené fut celui de la police contre les tueurs et non pas celui des Indignés hesselliens.
« Pas d'amalgame », « ne pas stigmatiser », bien sûr, mais qui en a fait et qui continue à en faire ici et maintenant ? Qui a tué et qui a été tué ? « Qui tue qui », comme s'interrogeait déjà la pensée progressiste durant les massacres commis par le GIA en Algérie. Le 20 janvier 1976, pendant la guerre civile libanaise (1975-1990) les habitants Chrétiens de Damour (Liban) furent massacrés par les milices palestiniennes suite au massacre de Karantina du 18 janvier 1976 perpétré contre des civils palestiniens par les phalangistes Chrétiens libanais. Pourtant cette réalité ne fut pas considérée et seuls les « palestino progressistes » du village de Tal el Zaatar (aout 1976) massacrés par les Chrétiens avec l'aide des syriens de Hafez el Assad eurent droit aux hommages de la gauche de gauche qui voyait dans ce conflit une guerre d'Espagne orientale. Qui se souvient d’Elie Hallak, médecin Juif libanais kidnappé en même temps que Jean Paul Kauffman et Michel Seurat et assassiné par les Islamistes libanais parce qu'il était Juif ET libanais. Qui eut une pensée pour ce médecin des pauvres qui soignait indistinctement TOUS les libanais? A-t-on noté à l'époque la part intimement raciste de ce crime ? Pourquoi ces rappels ? Tous les ingrédients du drame qui vient de se dérouler à Paris étaient déjà en germe dans ce passé… Lire l’intégralité.

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