Tribune
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Publié le 12 Juin 2013

Clément Méric, un citoyen du monde sachant dire non

Par Amaury Chauou (photo), professeur d'histoire en classes préparatoires

 

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde, et Clément est tombé. Combien de Clément faudra-t-il pour que l’on nous débarrasse sur la place publique de ces vautours de la démocratie qui prospèrent de ses bas morceaux ?

Brillant élève assidu à mon cours d’option Sciences Po à Brest en 2012, Clément, loin d’être un gros bras de l’extrême gauche militante, était avant tout un jeune intellectuel et un citoyen du monde sachant dire non. Non d’abord à la maladie, le cancer qu’il avait combattu durant sa classe de première avec une volonté de fer, forçant l’admiration. Non ensuite au conformisme de la pensée, la synthèse « molle ». J’ai souvenir d’avoir corrigé une de ses copies, consacrée à l’Allemagne durant les années 1930 où transparaissaient une culture et une maturité politiques étonnantes pour son jeune âge. Admis à plusieurs Instituts d’Études politiques différents — le genre d’étudiant que tout jury de concours recherche —, Clément était naturellement parti à Paris pour parfaire sa formation rue Saint-Guillaume et faire vivre ses idées.

 

Qu’a-t-il trouvé sur les bords de Seine ? De jeunes étudiants engagés comme lui dans des combats intransigeants : contre l’homophobie, contre le racisme, contre l’antisémitisme, contre l’ultralibéralisme, contre les inégalités hommes/femmes. Il n’y a rien là du nihilisme que ses liens passés avec la CNT pourraient suggérer. Mais à Paris, à ses dépens, Clément a aussi expérimenté un climat de tensions depuis plusieurs mois, palpable lors de débordements publics. La culture de l’occupation de la place publique l’animait certes, mais pour le tractage et les rites d’unité, bien loin de toute accoutumance au coup de poing auquel, du reste, sa menue silhouette et sa récente convalescence ne le prédisposaient pas. Là était sans doute sa faiblesse : Clément, sous réserve des conclusions de l’enquête criminelle à venir, a croisé des spécialistes des violences urbaines, abonnés aux discours de rupture et de haine politique et sociale que profèrent certains éléments de la jeunesse française d’aujourd’hui.

 

La mauvaise rencontre lui a été fatale, mais sa voix demeure : s’il se revendiquait du mouvement social et s’il combattait les idées des groupuscules d’extrême droite, la personnalité de ceux qui crachent à la figure de la République et rêvent de troisième voie lui était indifférente. Le jeune homme savait pertinemment que le militantisme politique vise des adversaires pour ce qu’ils font, non pour ce qu’ils sont. En ce sens, le registre d’expression de Clément, d’un tempérament discret et un peu réservé, était aux antipodes de la culture de l’ultra-violence des skinheads.

 

À 18 ans, Clément avait toute la vie devant lui. Il n’est pas tolérable qu’en France en 2013 on puisse tomber sous les coups de la haine et du fanatisme. L’indignation et l’émotion suscitées par l’exacerbation de la violence doivent réunir tous ceux qui, comme Clément, veulent vivre leur liberté passionnément. Il est grand temps de dire non à ce que nous ne voulons plus voir dans notre démocratie empoisonnée.