Tribune
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Publié le 31 Décembre 2012

Comment une erreur de vocabulaire transforme un article* en véhicule de haine

Par David Coeffic

 

Le choix d’un mot n’est pas neutre. Il relie l’esprit du lecteur à un champ de représentation mentale et morale.

Un article de Haaretz accuse les autorités israéliennes de stérilisation forcée sur des femmes d’origine éthiopienne.

 

Le mot stérilisation, en français ou dans la langue de Shakespeare, ne souffre aucune équivoque : il désigne le fait d’empêcher la procréation avec une intention définitive. Il faut lui opposer la notion de contraception, qui est une méthode temporaire.

 

Tout le reste de l’article va dans le sens de cette supposée volonté de stérilisation, appuyé par un vocabulaire faisant appel au registre émotionnel.

 

Ainsi on peut y lire que l’affaire est « difficile à croire dans un pays comme Israël en 2012 ». Puis l’auteur relie cette pratique à une « expérience » menée dans les années 60, sur les populations noires en Géorgie (USA), sans citer de source bibliographique.

 

Elle explique également que le motif des autorités israéliennes (lesquelles?) était la difficulté d’intégration de ces populations. On y lit ensuite des expressions comme “ghetto ”, “étranglement bureaucratique” de l’absorption des nouveaux immigrants, et “contrôle de la vie” des nouveaux immigrants.

 

Il ne m’appartient pas ici de juger si l’intégration des différentes alyah de masse après la création de l’état d’Israël s’est partout et toujours déroulée selon des standards éthiques impeccables, il y a d’ailleurs de nombreux débats en Israël à ce sujet. Que ce soit pour les populations yéménites, marocaines ou plus récemment russes, on sait qu’il y a eu de nombreuses maladresses d’ordre culturel, et qu’Israël apprend des ses erreurs par le débat permanent au sein de sa société.

 

Mais l’affaire décrite, qui touche les migrantes éthiopiennes, est bien plus grave. Ces femmes ont reçu des injections de Depo-Provera qui les auraient « stérilisées ».

 

Qu’est-ce que le Depo-Provera? Il s’agit d’un médicament contraceptif de la classe des progestatifs, administré par injection intramusculaire tous les 3 mois. Ainsi, la période de contraception prodiguée ne dépasse pas les 3 mois. Ce médicament a reçu une autorisation d’utilisation dans la plupart des pays, dont la France. Son usage est réservé aux patientes qui ne peuvent pas bénéficier d’une contraception classique, soit par contre indication à la pilule (il y en a beaucoup !), soit par impossibilité de poser un stérilet dans des conditions raisonnables d’asepsie et de confort. Les effets secondaires sont les mêmes que toutes les méthodes contraceptives hormonales, modification du cycle, surcharge pondérale, et sur le long terme, modification de la densité osseuse. Il n’y pas d’effets secondaires originaux spécifiquement associés à ce médicament, ni de scandale sanitaire rapporté dans la littérature scientifique.

 

C’est un contraceptif, avec des indications médicales ou sociétales particulières. Ce n’est pas un stérilisant.

 

On peut discuter de la politique de planning familial des autorités israéliennes vis-à-vis des populations migrantes, s’interroger sur la stratégie de sélection des 40 femmes qui ont été traitées par ce médicament et sur l’existence et la nature du consentement recueilli : l’article ne discute pas ce sujet, il instruit à charge.

 

On peut aussi s’interroger sur la nécessité de cette politique de planning, tout en sachant que les femmes traitées se trouvaient dans des conditions particulières, soit pendant leur transfert en Israël (voyage très difficile à certains moments de l’alyah éthiopienne), soit pendant la phase de primo-intégration, mais on est déjà bien loin de l’idée de complot et de la volonté de stérilisation de toute une population.

 

L’article n’a heureusement pas été beaucoup repris dans les médias internationaux, mais il a suscité des protestations légitimes chez ceux qui l’ont lu et qui l’ont cru. La stérilisation des femmes éthiopiennes évoque vite les stérilisations forcées effectuées par les nazis.

 

Il a été discuté dans les forums sociaux, blogs et dans les sites spécialisés dans la critique systématique d’Israël.

 

Il y a ainsi une référence dans la rubrique « racisme en Israël » dans le Wikipedia en anglais. On notera également une traduction littérale de l’article sur le site Mediapart par un membre de la CAPJPO-Europalestine.

 

Sur le site Iran Radio Islam en français, on peut lire que certaines femmes sont mortes à cause des injections, ce qui n’est même pas mentionné dans l’article d’Haaretz. Le sujet a aussi été repris sur le site de « The National », organe de la gauche radicale américaine, qui reprend la thèse de l’état israélien raciste voulant contrôler le nombre de naissance dans la population noire.

 

Une fois qu’on a qualifié de “stérilisation” ce qui est un simple traitement contraceptif réversible, on peut facilement faire remonter à la surface les stéréotypes de l’Israélien néocolonial et raciste.

 

L’auteur de l’article n’est ni journaliste, ni médecin; elle est probablement une militante respectable de la cause éthiopienne, et elle fait une terrible confusion. Un journal aussi réputé que le Haaretz aurait dû réparer cette confusion s’il voulait absolument publier cette tribune. Au lieu de quoi, il l’a aggravée en titrant sur la “stérilisation” des femmes éthiopiennes. Par désir de spectaculaire, par volonté de nuire ou par une négligente ignorance?

 

En tout cas une bien mauvaise action.

 

À mal nommer les choses...

 

* Haaretz, édition anglaise du 12 décembre 2012, « Israel's Ethiopians suffer different 'planned' parenthood. The revelation that Israel is sterilizing Ethiopian women adds to a shameful history of abuse of powerless women and communities. Par Efrat Yardai ».