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Etre légitime, c’est croire qu’on est légitime au point de délégitimer l’ordre de la loi [1].
Si l’on prend l’opposition entre légitimité et légalité pour base de réflexion, on se rend bien compte de l’existence d’un problème sur le plan de la signification quand on parle de « délégitimisation d’Israël » :
-Les Israéliens s’estiment victimes – à juste titre – de délégitimation
-Les Palestiniens et leurs alliés leur livrent combat dans l’arène de la légalité
Cela signifie que définir la situation par le concept de « délégitimation » d’Israël pourrait bien constituer une erreur majeure dans l’analyse stratégique. Elle pourrait surtout conduire les Israéliens à livrer combat dans une arène qui n’est pas la bonne.
Il faudrait parler plutôt de « délégalisation » d’Israël.
Cette erreur s’explique, parce qu’en bons démocrates, les Israéliens pensent que la légitimité émane de la Loi.
Or, il faut se demander si, dans la réalité, ce n’est pas là une pétition de principe, une vision idéale qui n’envisage pas la possibilité que la loi et la démocratie puissent être instrumentalisées à des fins qui ne sont pas « démocratiques » [2].
N’est-ce pas ce qui se produit aujourd’hui ?
Les Palestiniens et leurs séïdes invoquent un « droit international » qui n’existe pas pour contester à Israël son droit d’exister.
On a forgé récemment en anglais un nouveau mot, lawfare, pour désigner cette stratégie qui vise à « délégitimer » un adversaire, c’est-à-dire à contester son droit d’exister, en instrumentalisant le droit, national aussi bien qu’international, non pas tellement pour remporter une victoire juridique, mais pour transformer le tribunal en plateau de télévision où il s’agit de détruire l’image médiatique de l’adversaire, ainsi couvert de honte, et acculé à défendre sa réputation au lieu de livrer combat à son ennemi sur le terrain de la guerre classique, là où se joue la réalité.
Pour comprendre cela, il faut revenir à la conception du sociologue Max Weber, avec sa théorie des types d’autorité et de légitimité. Un pouvoir légitime, c’est celui auquel on obéit sans coercition, sans être forcé, volontairement, nous dit Weber.
Weber distingue 4 sources de légitimité, et donc d’autorité : le charisme par lequel un individu se sent investi d’un talent exceptionnel, ce que confirment ses disciples une tradition reçue du passé, déposée dans un texte ou un siège d’autorité la loi et le règlement, une autorité légale et rationnelle l’expertise, une autorité fondée sur un savoir reconnu par des pairs. Cette conception ébranle le partage que fait la philosophie entre légitimité et légalité, car elle avance que la légalité (l’autorité légale-rationnelle) n’est qu’un type de légitimité parmi d’autres et donc que, dans la vraie vie, la légitimité ne découle pas seulement de la loi, comme on le pense dans la théorie démocratique.
La loi cependant – et même d’un point de vue rationnel et démocratique – n’existe pas en soi, à moins qu’on ne pense qu’elle vient de Dieu.
En effet, elle met en forme des principes qui reposent eux-mêmes sur des valeurs. Mais ces valeurs, elles-mêmes, n’ont aucun fondement rationnel : elles se fondent sur un principe de légitimité qui ne peut être qu’irrationnel. Ainsi, en France, le tribunal rend-il des jugements « au nom du peuple français », c’est-à-dire d’une entité métaphysicopolitique, censée exister au-dessus du droit et préalablement à lui.
Cette perspective nous aide à comprendre pourquoi et comment la « délégitimation d’Israël » se joue sur la scène légale, je fais référence au droit international.
Les ennemis d’Israël recourent à la fois à l’argument de la Loi et du droit comme incarnant la légitimité démocratique (c’est pourquoi ils délégalisent Israël pour le délégitimer), tout en détournant l’ordre juridique sur lequel était fondée l’arène internationale, c’est à dire en contestant la légitimité qui le fonde (à savoir un ordre mondial fondé sur la souveraineté des États nations) et en tentant de façon sournoise d’installer de nouvelles valeurs en prévision d’un droit qui n’existe (encore) pas.
Un double mouvement se produit donc: les Palestiniens attaquent Israël sur le plan du droit international en même temps qu’ils attaquent l’ordre actuel du droit international.
Cette attaque dépasse les Palestiniens. Elle est portée, nourrie et soutenue par une idéologie qui domine aujourd’hui les élites en Occident : le post-modernisme, dont un des objectifs essentiels est :
*de détruire, sur le plan international, l’État-nation, le critère national-étatique de l’ordre inter-national
*de détrôner, sur le plan national, les droits du citoyen au profit des droits de l’homme.
Ce prisme idéologique redéfinit entièrement la réalité vécue. On peut en voir l’illustration à quatre niveaux
1) L’invalidation du principe de souveraineté et la dénationalisation des conflits aussi bien internes qu’externes. Il n’y a plus de « guerres » – ce qui supposait l’existence d’Etats- mais des « différends », des « tensions inter-quelque chose ». On invoque depuis peu au Conseil de sécurité un nouveau principe « la responsabilité de protéger » qui autorise l’ingérence (forcément des plus puissants s’arrogeant désormais un directoire « moral » de la planète) dans les affaires intérieures des Etats pour une cause humanitaire.
Cette nouvelle donne, pour l’instant purement idéologique, induit une confusion générale des juridictions avec le mythe, spécifiquement et uniquement européen, de la « compétence universelle » ou l’idée que l’instance judiciaire a le primat sur l’instance législative – le parlement -, d’où est censée, en démocratie, venir la Loi, toute la Loi.
2) Le mythe de « la communauté internationale » qui transcenderait les Etats en une sorte de société civile non plus nationale, mais mondiale. Mais la population des fonctionnaires internationaux ne forme pas une communauté et ses acteurs ne sont pas des individus. Bien au contraire ce sont les blocs de vote automatique et les ONG, des organisations très opaques qui prétendent tout contrôler, mais que personne ne contrôle (et qui souvent sont les bras « moraux » des États occidentaux [3]), qui ont le dessus.
3) La transformation de la guerre : les guerres asymétriques où l’on voit des populations se lancer dans une guérilla contre l’Etat dans lequel elles vivent, en appelant à une intervention internationale, toujours bien sûr pour des causes « humanitaires », au nom de l’Homme à l’encontre de l’ordre de la citoyenneté de l’État nation.
4) Le renversement des valeurs qui en découle : ce n’est plus le citoyen en effet qui est le critère de la légitimité, mais l’Homme, toujours l’homme souffrant, victime du citoyen, victime de l’État nation Et c’est ce qui entraine une entreprise générale de dénationalisation du droit international, au profit d’un ordre actuellement totalement erratique qui fait référence à l’humain, l’homme nouveau.
5) L’instrumentalisation inévitable du droit international à des fins politico-idéologiques et religieuses (je pense au bloc de l’Organisation de la Conférence islamique à l’ONU et à Genève). Le principe de « la responsabilité à protéger » pourra être instrumentalisé par tout groupe activiste qui cherchera à monter le spectacle d’un drame humain sanglant – quitte à sacrifier cyniquement certains de ses membres comme l’ont fait l’OLP et le Hamas – pour rameuter la planète contre le pouvoir étatique qu’il cherche à abattre. Avec l’arme civile, l’instrumentalisation des civils, il le transforme en monstre sanguinaire avant d’appeler à son élimination et surtout il rend impossible l’utilisation des armes conventionnelles. L’Humain est devenu l’arme absolue des guerres asymétriques.
Vous avez là une description des fondements de la stratégie palestinienne et de ses séides, le spectacle permanent de Pallywood, selon l’expression du prof Richard Landès, qui souligne la mise en scène permanente de la souffrance palestinienne. Cette stratégie utilise les populations civiles, femmes et enfants, la scène télévisuelle unique de l’hôpital de Gaza, l’accusation de « génocide » à Djenine, Gaza, de racisme institué à l’égard des Palestiniens y compris Israéliens, de façon à provoquer une intervention internationale pour imposer une solution favorable aux Palestiniens.
La Libye, la Syrie sont autant d’étapes vers cette marche vers un interventionnisme humanitaire au Moyen-Orient. C’est pourquoi l’enjeu syrien est décisif.
Cette manipulation de l’humain prend dans l’opinion démocratique occidentale, car elle ressuscite, en ce qui concerne Israël seul le vieux mythe antisémite du crime rituel, du Juif tueur d’enfants, ce que corroborent les sondages d’opinion en Europe, confondant l’Etat d’Israël avec le nazisme, le racisme, le génocide.
Nous en avons une preuve par l’absurde en ce que le massacre syrien n’a fait descendre personne dans la rue en Occident comme dans le monde arabe. Par ailleurs, comme le discours idéologique nous le montre, elle la met en regard de la Shoah, redéfinie comme tragédie de l’humain en général dont les Palestiniens seraient les seuls témoins, comme le dit un jour Edward Saïd en les présentant comme les « victimes des victimes », ce qui inscrit Israël dans la lignée du bourreau nazi.
C’est pourquoi je dirais que s’il faut livrer le combat légal, sur le plan du droit, il ne faut pas trop y croire, car le droit est aujourd’hui un champ de bataille instrumentalisé par ceux qui s’en revendiquent. La légalité d’Israël sur le plan de son existence est impeccable sauf pour les historiens au petit pied qui réécrivent l’histoire pour servir leur idéologie.
Ce n’est pas là que les choses se passent en vérité. Il faut livrer ce combat, cependant, mais livrer aussi d’autres combats, non pas seulement pour se défendre, mais pour attaquer et encombrer les tribunaux de la planète, exactement comme le fait l’adversaire. Mais il y a plus important, il faut surtout faire entendre aux États nations démocratiques d’Occident, qui sont l’arène essentielle de cette guerre juridique, que demain ce seront eux et eux uniquement qui seront les cibles des attaques dont Israël est l’objet.
Qu’ils n’ouvrent pas la boite de Pandore qui conduira à la multiplication de la guerre, à la ruine de la démocratie et de la vie internationale !
*Intervention à la conférence « Israël face aux défis du droit. Legal Challenges and Opportunities in Israel Policy and Advocacy », Paris, 20 juin 2012.
Notes
[1] En somme, l’important est qu’Israël se sente absolument légitime, pour l’être et en persuader les autres. C’est pourquoi la question de savoir si Israël peut être « juif et démocratique », ce qui serait la condition de sa légitimité, de son droit à exister, équivaut de facto à un déni de légitimité (si l’on prend le mot juif pour ce qu’il désigne aussi, à savoir un peuple). La France se demande-t-elle si elle est peut-être française et démocratique ? On rira quand on pensera à l’éradication de tout non musulman et non arabe dans la future « nation » palestinienne, elle parfaitement légitime aux yeux de l’univers (et c’est parce que les Palestiniens n’en doutent pas une seconde)…
[2] N’est-ce pas déjà ce qui se passa avec Pétain ou Hitler, portés au pouvoir de façon formellement « démocratique » ?
[3] Qu’on appelle sur le mode de la dérision non plus les ONG, mais les GONG : Organisations non gouvernementales… Alors que les bonnes âmes belges ne manifestent pas condamner les massacres qui se déroulent en Syrie, la haine d’Israël se déploie sans relâche dans la capitale de l’Europe. Le samedi 23 juin, l’ONG belge Intal a organisé une nouvelle manifestation contre Israël dans la rue Neuve à Bruxelles. Intal reçoit de généreux subsides du gouvernement belge. A notre connaissance les dirigeants juifs francophones n’ont pas, comme d’habitude, protesté.
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