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Le citoyen est la figure politique de la démocratie. Membre d’une communauté politique, il bénéficie de droits fondamentaux. En retour, il doit s’acquitter de devoirs. Son ambition est de contribuer à l’intérêt général en respectant des valeurs fondamentales. Cette aspiration simple reste-t-elle d’actualité ? N’assisterions-nous pas à une transformation du citoyen ? La désaffection politique et la disparition des grandes idéologies traduiraient l’effacement d’une vision du monde partagée, celle-là même qui est impérative pour exercer sa citoyenneté. Le « bon sens » aurait aujourd’hui remplacé les croyances. Dès lors, nous serions prêts à tout négocier…et moins enclins à nous battre pour nos idéaux. Aussi, le « citoyen classique », engagé pour autre chose que son propre intérêt, celui qui pense au « bien commun », serait de moins en moins présent.
L’avènement et le succès de la démocratie participative seraient le meilleur révélateur de cette mutation de la citoyenneté. Il est en effet possible d’affirmer qu’elle abime deux dimensions importantes de la « citoyenneté traditionnelle » : 1) le citoyen est une personne – qui sait allier liberté et responsabilité 2) le temps est fléché en démocratie – ce qui signifie que l’on admet la nécessité de rechercher un avenir meilleur dans le cadre d’une société de progrès. Le « citoyen classique » est donc un individu capable à la fois de mener son propre destin et le destin commun. La démocratie participative pousserait au contraire chacun à prendre des décisions pragmatiques, mais de circonstances. On ne s’embarrasserait plus de l’avenir. On chercherait d’abord à régler ses difficultés à court terme et, circonstance aggravante, par la négociation. La société pacifiée ne croit plus à grand-chose. Alors que les croyances ne se négocient pas, les « nouveaux citoyens » ont désormais des intérêts qu’ils souhaitent (et peuvent) préserver par la négociation. Ce serait donc d’une véritable mutation de la citoyenneté qu’il conviendrait d’évoquer.
Il serait désormais celui qui recherche le consensus. Par peur du conflit ? Au moins pour ne pas le laisser prospérer. Le danger est connu : les citoyens ne recherchent plus la vérité du bien commun, mais la paix sociale. Oublieux de ses valeurs, la volonté d’éteindre les foyers conflictuels devient impérieuse. Au point de devenir plus importante que tout le reste…
Un exemple de l’actualité récente permet d’illustrer cette transformation citoyenne supposée. En septembre 2012, la diffusion sur Internet du film L’innocence de l’Islam embrase le monde arabo-musulman. Dans ce contexte explosif, le journal satirique Charlie Hebdo décide de publier des caricatures du prophète Mahomet dans son numéro du 19 septembre. L’immense majorité des réactions témoigne de la mise en place de cette nouvelle approche citoyenne : « ce n’était pas le moment », « c’est verser de l’huile sur le feu » ou, encore plus direct, « Charlie Hebdo aurait dû s’abstenir pour ne pas menacer la cohésion sociale ». Ainsi, l’un des principes fondateurs de la démocratie – la liberté d’expression – est relégué après la nécessité de maintenir la paix sociale. Les « nouveaux citoyens » transforment le blasphème en agression. Les attaques contre la religion dans le débat public ont pourtant, par le passé, permis à notre République de se construire telle qu’elle est. Au fond, pour éviter les conflits dans la société consensuelle qu’ils appellent de leurs vœux, les « nouveaux citoyens » seraient prêts à mettre de côté leurs valeurs…
Cette démocratie du consensus serait d’autant plus dangereuse qu’au bout du compte elle empêcherait de faire société. Chaque groupe social entreprend de faire entendre son bien commun, ce qui rend très difficile (impossible ?) la constitution du bien commun. Cela pourrait à terme faire disparaître la spécificité du modèle français : l’identification de l’homme et du citoyen. Son texte fondateur s’intitule bien Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or, en plus des effets de la démocratie participative, le « citoyen classique » se trouve dans l’obligation de s’adapter à un monde de plus en plus ouvert. Le cadre traditionnel de l’État nation qui imposait une structure politique claire est renversé par la décentralisation, mais surtout par la montée en puissance politique de l’Union européenne et le renforcement de la mondialisation.
Si l’on a compris que l’approche classique – centrée autour de l’État-nation – ne pourra certainement plus gérer notre modèle de citoyenneté, nous ne savons pas encore par quoi il sera remplacé. Quelle sera précisément la structure politique dans laquelle le « nouveau citoyen » pourra évoluer ? Il serait temps de répondre à cette question.