- English
- Français
Francetv info : Va-t-on assister le 25 mai à une poussée des eurosceptiques ?
Patrick Christian Moreau : Tout d'abord, il faut faire attention à l'appellation "eurosceptique". Cela regroupe des familles de partis très différentes, avec des sensibilités diverses et des degrés d'extrémisme qui ne sont pas du tout comparables.
Contrairement aux premières estimations, la campagne a conduit à un léger tassement des intentions de vote pour ces partis. Aujourd'hui, avec toute la prudence des effets de l'abstention sur les résultats des partis, nous avons une estimation des rapports de force. Les partis situés à la gauche de la social-démocratie, c'est à dire les partis communistes et postcommunistes comme Synaspismós en Grèce ou Die Linke en Allemagne, devraient obtenir de 6 à 8 % des suffrages. Le parti populaire européen est donné entre 27 et 30%, et les sociaux-démocrates et socialistes de 27 à 29 %, tandis que les libéraux obtiendraient 7 à 8 % des voix.
Les nouvelles droites radicales (FPÖ autrichien, FN) et de l'extrême-droite dite "dure" (Jobbik en Hongrie) sont estimées à 9 à 11 %. Enfin, on peut s´attendre à une percée des partis nationalistes anti-européens démocratiques comme Ukip au Royaume-Uni. Il s'agit d'une montée en force évidente, mais qui ne devrait pas entraver le fonctionnement du Parlement européen.
Qu'est-ce qui caractérise ces trois familles d'eurosceptiques ?
Il y a d'abord les nouvelles droites radicales et l'extrême-droite. Il s'agit notamment du FN, des Démocrates suédois, du Parti national slovaque, de la Ligue du Nord italienne, du FPÖ autrichien, du Jobbik hongrois... Ils sont tous anti-démocratiques et présents dans presque tous les pays d'Europe. Mais il y a des différences à faire entre eux en termes de degré d'extrémisme. En effet, le FN et le FPÖ ont abandonné la violence et rejettent, par exemple, l'antisémitisme. Tandis que Jobbik et Ataka (Bulgarie) notamment restent violents, racistes et antisémites. Au-delà de ces divergences de stratégies, toutes ces formations mordent dans l'ensemble des électorats en Europe. Leur message central commun consiste en un retour à l'Etat nation, à la priorité nationale et au rejet de toute immigration non-européenne.
Ensuite, la deuxième catégorie est plus eurocritique qu'eurosceptique : c'est la gauche de la gauche, communiste et post-communiste. Forte au Portugal, en Espagne et, dans une certaine mesure, en France, elle se traduit dans une variante "rouge-verte" dans le nord de l'Europe. Parmi les formations puissantes électoralement, on trouve Die Linke en Allemagne, le Bloc de gauche au Portugal, le Parti communiste de Bohème et Moravie en République tchèque, le Front de gauche en France, Synaspismós et le Parti communiste grec... Tous ces partis sont très critiques de la construction européenne sous sa forme actuelle. Ils ne sont pas hostiles à une vision européenne mais ils souhaitent qu'elle soit construite sur l'anticapitalisme. Ces partis sont présents à l'Est comme à l'Ouest et leur formule commune est : "une autre Europe est possible." Ils sont majoritairement non-violents et très modérés dans leur pratique politique, même si leur projet est par nature radical, surtout en termes économiques.
Enfin, la dernière catégorie est composée des nationalistes anti-européens démocratiques. Issus du champ conservateur, ils n'ont qu'une seule articulation idéologique : l'Etat-nation est à défendre à tout prix quant à ses prérogatives régaliennes. Ils sont arc-boutés sur l'idée que l'Union européenne et l´Euro sont responsables de la décadence passée et future de leur pays. L'exemple typique, c'est Ukip au Royaume-Uni. C'est aussi le cas de l'AfD en Allemagne, qui fait surtout campagne sur la question de l'euro. Ce sont encore de petits partis, mais leur influence grandit.
Qui sont leurs électeurs ?
L'extrême-droite rassemble des électeurs protestataires, ainsi qu'un électorat prolétarien composé d'hommes âgés de plus 50 ans, à faible niveau de formation, d'ouvriers, de chômeurs... Tous ceux que l'on désigne sous le terme de "perdants" de la mondialisation. Mais aussi, et c'est particulièrement vrai dans les pays du nord de l'Europe comme la Finlande, la Norvège ou la Suède, des électeurs "gagnants" de cette modernisation, qui veulent protéger leurs acquis.
A l'opposé, la gauche de la gauche attire, certes, encore une petite partie de l'électorat prolétarien, surtout dans les pays du sud de l'Europe, mais aussi toute la gauche intellectuelle radicale et une frange des classes moyennes supérieures. Dans les pays de l'Est postcommuniste, elle séduit des électeurs protestataires flottants, sans lien partisans stables. Ce sont majoritairement des chômeurs et des personnes âgées motivés par une situation économique très dégradée. Ces électeurs ne sont pas très idéologisés mais considèrent, en gros, que la période communiste "c'était le bon temps". "On avait accès à un système de santé gratuit, estiment-ils. Il n'y avait pas beaucoup de choix dans les supermarchés, mais on pouvait s'acheter des choses, alors que maintenant, on a tout dans les magasins mais on ne peut plus rien acheter avec sa retraite."
Enfin, l'électorat de la troisième catégorie, avant tout conservateur ou national-libéral, rassemble des électeurs de la bourgeoisie et des classes moyennes. Ils sont démocratiques mais tétanisés par la construction européenne et l'action de la Commission européenne… Lire la suite.