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Ils sont une poignée à Toulouse, quelques milliers en France, peut-être 12 ou 15 000, et ils commencent à inquiéter sérieusement les autorités. A Paris, on les a vus devant l'ambassade américaine manifester alors qu'on ne s'y attendait pas. Une surprise exploitée par l'opposition qui demande des explications au gouvernement.
Ce sont les salafistes. Des extrémistes religieux appartenant à la branche sunnite de l'islam. Salaf'cela signifie «les ancêtres pieux». Pour eux, l'islam doit se lire au pied de la lettre. Ils portent une longue barbe, un costume traditionnel. Et ne reconnaissent qu'une seule loi : la charia.
Certains sont plutôt repliés sur leur foi et son enseignement, d'autres «réformistes», d'autres enfin sont des djihadistes déclarés. Ce sont ceux-là que le gouvernement veut surveiller de près, notamment ceux qui partent pour les camps du Pakistan ou de l'Afghanistan apprendre la «guerre sainte».
Un projet de loi dans ce sens va donc être présenté prochainement en conseil des ministres. Il vise à pouvoir juger directement ceux qui reviendraient en France après avoir subi ces entraînements et le lavage de cerveau qui va avec. Le précédent gouvernement avait dans ses cartons un projet qui, sur les principes, n'était pas très éloigné de celui-là.
La France a été très brutalement confrontée au salafisme en mars dernier avec les tueries de Toulouse et Montauban, perpétrées par Mohammed Merah. On a très vite su que celui-ci était proche des milieux salafistes et que le jeune homme avait fait plusieurs séjours dans les camps afghans. Reste à savoir si les services de renseignements ont sous-estimé le danger potentiel que représentait Merah, qui pourtant avait été parfaitement repéré et «débriefé» lors de son retour en France.
La volonté du gouvernement est sans doute aussi de mieux contrôler ce mouvement. Car les salafistes, qui n'étaient que quelques dizaines au début des années 90, ont connu une progression très forte.
L'immense majorité des musulmans de France ne se reconnaît pas dans ce mouvement, mais les salafistes ont le don de savoir faire monter les enchères : en se réclamant d'un islam pur et dur, ils tentent de culpabiliser tous ceux qui veulent vivre leur religion dans la tolérance. Ils finissent par avoir une influence occulte sur certains esprits, notamment des jeunes en quête d'absolu. Ils pratiquent volontiers le terrorisme intellectuel dans les cités où ils sont implantés. Comme tous les sectaires, ce sont des militants acharnés. Leur tactique est simple : mettre de l'huile sur le feu chaque fois que c'est possible. Un vrai danger pour la laïcité, et donc la République et sa sécurité.
Une mouvance radicale qui se développe
Samedi, quelque 250 personnes ont manifesté devant l'ambassade des États-Unis à Paris pour protester contre le film polémique qui embrase le monde arabe depuis plusieurs jours et s'est soldé par la mort de l'ambassadeur américain en Libye la semaine dernière (lire ci-dessous). 152 personnes ont été arrêtées par la police qui dispose par ailleurs d'images vidéo et de messages qui appelaient à ce rassemblement non-autorisé sur les réseaux sociaux. Dimanche soir, une enquête a été ordonnée pour identifier les organisateurs de la manifestation de la veille. Parmi les manifestants, beaucoup de femmes intégralement voilées et beaucoup d'hommes vêtus à la manière salafiste.
Qui sont-ils ?
Le salafisme en France est largement minoritaire. Alors qu'on compte quelque 6 à 7 millions de citoyens de confession musulmane en France, les salafistes seraient entre 10 000 et 20 000, contre quelques dizaines de fidèles au début des années 90. Des chiffres difficiles à établir, car les statistiques ethniques sont interdites en France.
Les salafistes sont en tout cas une minorité très bruyante parfois - on l'a vu samedi - et activiste, qui arrive à attirer les jeunes notamment par un discours radical. Les salafistes - comme lors de la manifestation parisienne - sont souvent des jeunes de moins de 30 ans qui sont recrutés dans des séminaires, dans les banlieues et dans des lieux de cultes salafistes - il existe quelques mosquées salafistes, notamment à Paris, Lyon et Marseille - et de plus en plus sur internet où ils peuvent discuter et échanger entre eux sur des sites spécialisés. Le rassemblement de samedi a par ailleurs été également relayé par SMS les jours précédents.
Les salafistes, qui reprennent la manière de vivre du prophète Mahomet, ses tenues vestimentaires et sa longue barbe, sont issus de différents milieux allant de ceux qui sont exclus de la société à des étudiants bien intégrés de la classe moyenne.
Ces dernières années, le salafisme s'est aussi développé derrière les barreaux. En 2004, le sociologue Farhad Khosrokhavar, rappelle L'Express, alertait l'opinion sur le rôle néfaste des imams radicaux en détention. L'influence de ces prédicateurs serait d'autant plus grande que le nombre d'aumôniers musulmans - modérés - agréés par l'administration est encore trop faible, pointait l'an passé Jean-Marie Delarue, contrôleur général des prisons : 13 % des aumôniers alors que la proportion de détenus musulmans se situe, selon les évaluations, entre 30 et 50 %. Les experts estiment ainsi que c'est en prison, essentiellement, que Mohamed Merah s'est radicalisé.
Qui les finance ?
L'implantation du salafisme en France remonte au début des années 90 avec l'arrivée en provenance d'Algérie d'anciens militants du Front islamique du salut (FIS) fuyant la répression du régime. Vers le milieu des années 90, ce salafisme révolutionnaire algérien a été remplacé par un salafisme de type apolitique, influencé non plus par l'Algérie, mais par l'Arabie saoudite, qui a formé de nombreux imams français.
L'État saoudien est un financeur de longue date de cet islam radical, notamment via la Ligue islamique mondiale. Mais il n'est plus le seul et des mécènes des monarchies du golfe persique dépensent des millions pour faire rayonner le salafisme. En France, plusieurs mosquées ont ainsi été construites grâce à des fonds provenant de ces pays et de la Ligue islamique mondiale, comme les mosquées d'Evry et de Mantes-la-Jolie. L'Arabie saoudite propage le salafisme en formant des milliers d'étudiants saoudiens ou étrangers dans ses universités de Riyad, de La Mecque et de Médine. Ce sont eux qui font ensuite essaimer le salafisme dans d'autres pays.
Lors de sa création en France au début des années 80, l'Union des organisations islamiques de France a reçu de nombreux soutiens émanant des Émirats arabes unis.
Qui les aide ?
Outre les pays qui contribuent au financement du salafisme en France et dans le monde, cet islam radical peut s'appuyer sur de nombreux idéologues. Comme ceux issus des rangs des Frères musulmans, y compris lorsqu'ils se présentent sous un jour plus modéré, comme Tariq Ramadan. Des figures saoudiennes font également référence ; des cheiks aux positions radicales sur la place de la femme, les relations aux autres religions, voire l'usage prohibé de la télévision. La télévision justement est un puissant vecteur de propagande du salafisme qui utilise plusieurs chaînes satellitaires arabes pour transmettre son message au cours d'émissions diffusées à destination des pays émetteurs, comme de l'Occident.
Si le salafisme s'appuie également sur certaines librairies spécialisées en France, c'est bien évidemment sur internet qu'il s'emploie à propager ses idées. Les sites et forums se comptent par centaines.
Sont-ils dangereux ?
Les multiples courants salafistes font qu'il est impossible de donner une réponse tranchée à cette question. Cependant, une minorité des salafistes dépasse la simple démarche personnelle de renouer avec un islam «pur» pour s'engager dans le djihad. Ces individus partent alors en «stage» sur un terrain d'affrontement, comme la Bosnie, la Tchétchénie, l'Afghanistan, l'Irak… Dans ces camps, ils se forment au maniement des armes en espérant pouvoir poursuivre la lutte contre les ennemis de l'islam une fois de retour chez eux. Certains se retrouvent dans des groupes très surveillés par les autorités qui peuvent aller jusqu'à la dissolution, comme, par exemple, le groupuscule Forsanne Alizza.