Tribune
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Publié le 4 Mars 2014

Fin de l’antisémitisme ?

Tribune de Richard Prasquier, Président d’Honneur du CRIF, publiée dans le n°1291 d’Actualité Juive du 27 février 2014

 

Dans un monde de tabous qui s’effilochent, il reste en France malséant de se déclarer antisémite. Cependant, protester contre l’antisémitisme est aujourd’hui devenu suspect. Demain, ce sera indécent. Après-demain, ce sera peut-être une preuve de racisme. Ce retournement stupéfiant se profile depuis quelques années : il est tout sauf anodin. 

Les attentats de Toulouse et de Montauban avaient déclenché dans le pays des réactions où il était souvent de bon ton de subsumer l’antisémitisme sous l’englobant plus large de « racisme ». C’est pourquoi nous avions refusé que le CRIF participe à la manifestation parisienne : non pas, bien sûr, parce que nous ne nous intéressions qu’à l’assassinat des Juifs. Mais parce que nous considérions que l’assassin avait fait preuve de fanatisme anti-français et antisémite, et que rien n’indiquait qu’il eût été, en plus, un raciste.

 

Des brutes épaisses ont dans une récente manifestation parisienne scandé en public leur haine contre les juifs. Cette droite extrême que les slogans hitlériens ne rebutent pas fait des scores électoraux accablants dans divers pays européens. Elle relève sa tête en France, et pourrait devenir un fer de lance d’une réaction violente à l’exacerbation de la crise économique. Une extrême vigilance s’impose, mais ces mouvements ne doivent pas servir de repoussoirs commodes pour s’approprier l’antiracisme quand celui-ci est en même temps dévoyé par une myopie très sélective.

 

C’est ainsi que les organisateurs de la manifestation contre l’homophobie et les manifestations racistes de l’extrême droite qui ont eu lieu cette semaine à Toulouse ont effacé de l’intitulé la formule : « contre l’antisémitisme » et ont empêché la présidente du CRIF, Nicole Yardeni, d’y participer. Autant admettre que les crânes rasés qui crient « Juif, tire-toi, la France n’est pas à toi », sont racistes et pas antisémites… Dans le monde binaire de M. Jean Christophe Sellin, dirigeant du Front de gauche local qui contrôlait la manifestation et de ses amis stalino-chavistes, tout ce qui n’est pas anti-israélien ne peut être que raciste; le CRIF, évidemment, n’est pas anti-israélien, donc il est raciste. Syllogisme imparable dans son absurdité…

 

Ceux-là n’accordent pas aux Juifs le « droit » de lutter contre l’antisémitisme tant qu’ils n’ont pas fait allégeance rituelle à l’israélophobie, car ils les accusent de vouloir occulter ainsi « le » vrai racisme, celui de l’apartheid d’Israël contre les Arabes.

 

Les faits doivent s’incliner devant l’idéologie, maîtresse de l’histoire. La lutte contre le racisme, tel que défini, permet de négliger comme vaguelettes insignifiantes ou résidus de religiosité les déclarations meurtrières contre les Juifs banalement répétées dans le monde musulman. D’ailleurs le fait qu’il n’y ait pas de peuple juif (Shlomo Sand dixit), permet d’enterrer l’expression antisémite comme une simple manifestation obsolète du combat anti-impérialiste.

 

Les antisémites de l’extrême droite comme de l’islamisme plus ou moins radical aimeraient se débarrasser des Juifs à qui ils attribuent une puissance aussi exceptionnelle que néfaste. Bien des antiracistes de pure obédience aimeraient, eux, se débarrasser de l’antisémitisme.

 

Et Dieudonné dans tout cela ? Il a réuni 6000 spectateurs survoltés au Zénith de Toulouse, dans un numéro à l’antisémitisme suintant, mais distillé de telle sorte qu’il n’y ait pas la possibilité légale de le mettre en cause. L’homme, dont l’interview par E. Lévy ouvre les yeux à qui ne veut pas voir, est un antisémite obsessionnel qui a banni le mot « Juif » de son vocabulaire d’insultes : ce sont les « sionistes » qui ont tué Jésus, et d’ailleurs Merah lui-même était « probablement un sioniste ». Beaucoup de ses admirateurs proclament qu’ils se fichent des Juifs et qu’ils ne sont pas antisémites. Mais la liberté d’expression qu’ils réclament les conduit à un « conspirasionisme » de pacotille.

 

Il fallait crever l’abcès Dieudonné. Cela lui fait de la publicité ? 70% de la population n’approuve pas les déclarations du ministre de l’Intérieur ? La morale en ce domaine n’est pas une question de sondages. D’ailleurs Manuel Valls viendra le 27 au dîner du CRIF de Toulouse, symbole d’un combat dont dépend l’avenir des Juifs en France. S’agit-il de la ville où fut roué le protestant Calas et où Merah a commis ses assassinats ? Ou bien le souvenir de Voltaire et celui de Monseigneur Saliège sauront-ils l’emporter ?