Tribune
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Publié le 19 Avril 2016

Finkielkraut : "Ma réponse à ceux qui m'ont expulsé de Nuit debout"

L'écrivain raconte l'agression verbale et les menaces dont il a été l'objet place de la République samedi soir.

Par Alain Finkielkraut , publié dans le Figaro le 19 avril 2016
 
Intrigué par tout ce que je lisais dans la presse sur le mouvement Nuit debout, j'ai voulu juger par moi-même. Je suis donc allé samedi soir place de la République, à Paris. 
 
À peine arrivé, j'ai été interpellé par un homme qui semblait avoir mon âge: «On va voir le petit peuple, quelle décadence!» Mon épouse, interloquée, l'a fusillé du regard. En réponse, il nous a tiré la langue, puis nous a ostensiblement tourné le dos. Refusant de nous laisser décourager par cet accueil, nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à l'assemblée générale. Au moment d'y accéder, un jeune homme m'a dit, le regard noir et le visage fermé: «On n'a pas besoin de vous ici.» J'ai répondu que c'était moi qui avais besoin de voir et de savoir. Nous avons écouté deux réquisitoires de cinq minutes chacun - car telle est la règle, plus draconienne encore que dans les talk-shows télévisés - contre la société de consommation, et contre le capitalisme. Puis nous avons déambulé entre les stands, nous nous sommes arrêtés devant un atelier consacré à la cause animale, qui m'est chère. 
 
Là, une femme nous a abordés pour nous dire très gentiment qu'elle appréciait notre présence, que Nuit debout n'avait rien à voir avec les casseurs, que c'était un mouvement serein et sérieux dont les travaux allaient déboucher sur la proposition d'une assemblée constituante. Nous avons repris notre chemin, et c'est alors qu'un homme d'une quarantaine d'années s'est approché et nous a conseillé de partir car il y avait des gens qui nous voulaient du mal. 
 
J'ai répondu que notre visite n'était pas finie. Il m'a alors poussé avec violence. J'ai compris qu'il ne voulait pas nous protéger mais nous mettre dehors. Nous sommes revenus au centre de la place. Et là, une petite foule s'est formée, grondante et menaçante. Des gens du service d'ordre se sont approchés et nous ont dit que nous devions partir, que pour notre sécurité il nous fallait quitter immédiatement les lieux. Ils nous ont donc escortés jusqu'au boulevard, suivis par la petite foule haineuse qui criait: «Casse-toi, dégage!» Une femme particulièrement véhémente disait que je méritais d'être chassé à coups de latte. Comme je me retournais pour engueuler mes insulteurs, l'homme qui m'avait bousculé m'a craché au visage. Fin de l'épisode.
 
Nuit debout, si j'ai bien compris, exprime le besoin d'un monde extérieur au capitalisme où pourrait s'épanouir une véritable communauté humaine. Et comme si le XXe siècle n'avait pas eu lieu, l'avant-garde de cette communauté élimine toute pensée divergente. Moi, dont tant de journalistes et d'universitaires dénoncent depuis des mois «les intentions putrides» et «la pensée nauséabonde», je faisais tache, je souillais par ma seule présence la pureté idéologique de l'endroit. Certains participants sont, j'en suis sûr, désolés de ma petite mésaventure. Mais le fait est là: on est entre soi à Nuit debout. Sur cette prétendue agora, on célèbre l'Autre, mais on proscrit l'altérité. Le Même discute fiévreusement avec le Même. Ceux qui s'enorgueillissent de revitaliser la démocratie réinventent, dans l'innocence de l'oubli, le totalitarisme... Lire l'intégralité
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