Tribune
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Publié le 19 Avril 2013

Fouad II d'Égypte : «On ne gouverne pas une nation à coups de fatwas»

 

Par Yves Thréard

 

Fouad II d'Égypte, qui vit en exil en Suisse, n'est plus retourné dans son pays depuis la chute du régime de Moubarak. Il s'est confié à l'écrivain franco-égyptien Gilbert Sinoué, auteur de nombreux romans sur l'Orient et Prix des libraires 1996 pour Le Livre de saphir (Denoël). Le fils du roi Farouk porte un regard pessimiste sur l'évolution de son pays. Il aborde notamment la révolution égyptienne, le port du voile et plus largement la religion.

 

 

Le figaro : En juillet 1952, vous avez à peine six mois lorsque la monarchie est renversée par un coup d'État. Après le départ de votre famille d'Égypte, le mode de vie et l'insouciance de votre père seront très décriés.

 

Fouad II d'Égypte : Je sais. Rarement monarque fut autant conspué, injurié. On a tout lu et tout entendu avec l'impression d'un texte polycopié à l'infini: roi fantoche, homme à femmes, inconscient, flambeur, kleptomane… En comparaison avec ce portrait, Caligula et Néron font figure de bons pasteurs. Tout cela est caricatural. On oublie de mentionner l'essentiel: lorsque mon père accède au trône, ce n'est qu'un enfant. Un adolescent de 16 ans qui, très vite, va se retrouver pris entre le marteau et l'enclume. Le marteau étant l'omnipotence, voire l'intransigeance de l'occupant britannique représentée par l'odieux sir Lampson ; et l'enclume étant le Wafd, le parti d'opposition. On a exigé trop, et trop tôt de mon père. Entre l'austérité du devoir et l'allégresse de la légèreté, il n'a pas eu à choisir. Il ne le pouvait pas.

 

Vous tenez-vous constamment au courant des événements qui secouent l'Égypte?

 

Bien entendu. Et ce à quoi j'assiste actuellement me bouleverse. Il m'est arrivé même, je l'avoue, d'avoir les larmes aux yeux. Comment ce pays magique, cette terre de tolérance a-t-elle pu basculer dans un tel désastre? Sous le règne de mon père, quoi qu'on ait pu en dire, existait une vraie démocratie, un Parlement légitimement élu. À la cour, les fonctionnaires étaient aussi bien juifs que chrétiens ou musulmans. Et quand je vois aujourd'hui que des factions islamistes tentent d'attiser les haines communautaires, de monter les Coptes contre les musulmans, je suis terriblement affecté. Tout s'écroule. Je m'inquiète aussi du devenir de la femme égyptienne.

 

Le port du voile existait-il à l'époque de la monarchie?

 

Non. Les femmes étaient libres de s'habiller comme bon leur semblait. Et pourtant, elles étaient de vraies musulmanes. Jamais, à aucun moment, elles n'étaient montrées du doigt à cause de leur tenue. J'estime que si une femme désire porter le voile, libre à elle de le porter. Ce qui est grave, et impardonnable, c'est qu'on la prive de ce choix.

 

Vous-même êtes musulman sunnite. Quelle relation entretenez-vous avec la religion?

 

Mon père a tenu à m'inculquer une éducation musulmane. Un professeur de l'université d'al-Azhar venait régulièrement à la maison pour m'enseigner le Coran. Cependant, l'islam que cet homme m'a transmis était un islam de la tolérance, de la justice, ouvert sur le monde, la modernité et qui n'a rien en commun avec les discours enflammés de quelques imams qui déshonorent ma religion. Pourtant, au risque de vous choquer, il m'arrive de penser que ce qui se passe est peut-être un mal pour un bien.

 

Que voulez-vous dire?

 

Souvenez-vous de l'accueil triomphal que le peuple iranien réserva à Khomeyni lors de son arrivée à Téhéran en 1979. Qu'en reste-t-il aujourd'hui? Rien, sinon le rejet profond de la majorité de la population iranienne à l'égard de ce régime. Peut-être était-il utile que l'Égypte, la Tunisie, la Libye connaissent, eux aussi, cette expérience. Ainsi, ils sauront qu'on ne gouverne pas une nation à coup de fatwas et en s'isolant du reste du monde.

 

La révolution égyptienne a éclaté e 25 janvier 2011. Nous sommes en avril 2013. Pourquoi avoir si longtemps gardé le silence? Est-ce de l'indifférence? De la prudence?

 

Ni l'une ni l'autre. À tort ou à raison, je suis d'une nature très réservée. Trop peut-être. De nombreuses personnes m'ont demandé pourquoi je n'avais pas créé un parti monarchiste. Ce qui est absurde. Ce n'est pas ma conception de la monarchie. Par définition, un roi doit être au-dessus des partis. Il doit être le père de tous ses sujets, quels qu'ils soient. Je me suis tu aussi parce que je ne voulais pas que l'on m'accuse de profiter de la situation et d'ajouter au désordre régnant.

 

Je vous sens extrêmement pessimiste quant à l'avenir de votre pays.

 

Comment ne pas l'être? Néanmoins, vous savez, l'Égypte est une civilisation vieille de plus de cinq mille ans. Alors qu'est-ce que cinq ans, dix ans, au regard de cette vieille âme? Une péripétie, infiniment triste, certes, mais une péripétie. Je ne doute pas que Dieu donnera aux Égyptiens la force nécessaire pour se redresser.