Tribune
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Publié le 9 Septembre 2013

Frappes en Syrie: les limites de la puissance allemande

Par Nicolas Barotte

 

Discrètement, forcé par ses alliés américains et français, Berlin a finalement accepté de soutenir l'idée d'une «réponse forte» contre Damas. C'est un revirement. Jusqu'alors, Angela Merkel s'était déclarée opposée à une intervention armée et réticente à soutenir l'opération de ses alliés. 

Indigné comme toutes les démocraties par l'attaque aux armes chimiques perpétrée en Syrie, Berlin peine depuis deux semaines à adopter une attitude diplomatique claire, comme en témoignent ses circonlocutions et ses hésitations. Confrontée à l'hypothèse de la guerre, la puissance allemande touche sa limite. Première économie de l'Union européenne, l'Allemagne est encore incapable d'assumer un leadership politique. Puissance de l'ombre, elle a d'abord assuré être en discussion avec la Russie, avec qui elle sert traditionnellement d'intermédiaire. Puis, dit-on à Berlin, elle a cherché un consensus européen. Comme si l'Allemagne hésitait à assumer une stratégie propre. Elle a fini par choisir son camp. En entérinant implicitement l'idée d'une intervention et en réclamant un rapport intermédiaire la semaine prochaine, Berlin ouvre la voie à Washington et Paris qui sortent ainsi de leur isolement, si le Congrès américain entérine les frappes. Pour Angela Merkel, il s'agissait aussi d'apaiser les tensions naissantes avec ses partenaires, agacés de ces manœuvres dilatoires.

 

En Allemagne, ce changement de pied est critiqué, même si le pays ne participera pas pour autant à une intervention militaire. La résistance est d'abord culturelle et le traumatisme remonte évidemment à la Seconde Guerre mondiale. Mais le passé n'explique pas tout. En Allemagne comme partout en Europe, les opinions publiques se méfient des conflits menés au nom de la démocratie et qui n'aboutissent à rien, comme en Irak. Les Allemands sont opposés à 75 % au recours à la force en Syrie. En pleine campagne électorale, Angela Merkel voudrait éviter d'en faire un sujet de débat. Son adversaire du SPD, Peer Steinbrück, s'est déclaré totalement opposé à une intervention militaire.

 

Au-delà du pacifisme, l'Allemagne semble se méfier de la puissance. Les crimes du régime nazi et le sentiment de culpabilité dans la société allemande ont privé les générations suivantes de tout désir de leadership pour leur pays. Depuis plus d'un demi-siècle, l'Allemagne s'est reconstruite avec une obsession: poser des limites. «Une intervention n'est pas possible sans mandat des Nations unies», répète Angela Merkel depuis le début de la crise syrienne.

 

Depuis un peu plus de dix ans, l'Allemagne a gagné son autonomie militaire, refusant de s'aligner systématiquement sur les positions de leur principal allié, les États-Unis, ou de leurs partenaires européens. En 2002, Gerhard Schröder s'est ainsi opposé à la guerre en Irak. En 2011, l'Allemagne a voté contre la résolution du Conseil de sécurité ouvrant la voie à une intervention en Libye. Cette année, Berlin n'a soutenu qu'à la marge l'intervention française au Mali.

 

Mais les rapports de force géopolitiques ne permettent plus à l'Allemagne de rester sur le côté de la scène. Dans une Union européenne fragilisée par la crise économique, où la France est confrontée au décrochage, Berlin est seul à pouvoir assumer le leadership. Les alliés occidentaux le demandent et en premier lieu les États-Unis. Mais dans la pratique, l'Allemagne est toujours confrontée à la faiblesse de ses capacités d'intervention. À Paris, lorsqu'on entend des critiques sur les déficits excessifs, on le fait d'ailleurs volontiers remarquer.