Tribune
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Publié le 24 Octobre 2014

Il y a dix ans, un rapport entendait lutter contre le racisme et l’antisémitisme : le rapport Rufin

Par Marc Knobel, Historien, Directeur des Etudes au CRIF

C’est dans une actualité bouillonnante qu’en juin 2004, le ministre de l’Intérieur confie à Jean-Christophe Rufin, écrivain, médecin, ancien président de Médecins sans frontières et président d’Action contre la faim, une mission : approfondir la connaissance des mécanismes qui peuvent conduire à des actes ou à des menaces de caractère raciste ou antisémite. 

En octobre suivant, Rufin remet à Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur de l’époque, son rapport, intitulé « Lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». Il y recense les dispositifs existants de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et s’interroge sur la façon de les faire évoluer pour répondre à l’accroissement des violences au cours des dernières années. Il propose notamment de revoir la publication des chiffres consacrés aux violences antisémites et racistes : une concurrence entre des chiffres « notablement différents » publiés par les ministères concernés, qui n’utilisent pas les mêmes instruments de mesure, est nocive, soutient-il. Il suggère de mettre en œuvre des médiations aux niveaux politique, policier, judiciaire et scolaire, pour agir contre les manifestations du racisme, et notamment contre le « racisme organisé ».

A l’occasion du dixième anniversaire de la publication de ce rapport, nous revenons succinctement sur ce rapport, en exposant les grandes lignes concernant la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

C’est dans une actualité bouillonnante qu’en juin 2004, le ministre de l’Intérieur confie à Jean-Christophe Rufin, écrivain, médecin, ancien président de Médecins sans frontières et président d’Action contre la faim, une mission : approfondir la connaissance des mécanismes qui peuvent conduire à des actes ou à des menaces de caractère raciste ou antisémite. En octobre suivant, Rufin remet à Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur de l’époque, son rapport, intitulé « Lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». Il y recense les dispositifs existants de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et s’interroge sur la façon de les faire évoluer pour répondre à l’accroissement des violences au cours des dernières années. Il propose notamment de revoir la publication des chiffres consacrés aux violences antisémites et racistes : une concurrence entre des chiffres « notablement différents » publiés par les ministères concernés, qui n’utilisent pas les mêmes instruments de mesure, est nocive, soutient-il. Il suggère de mettre en œuvre des médiations aux niveaux politique, policier, judiciaire et scolaire, pour agir contre les manifestations du racisme, et notamment contre le « racisme organisé ».

A l’occasion du dixième anniversaire de la publication de ce rapport, nous revenons succinctement sur ce rapport, en exposant les grandes lignes concernant la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

Racisme : les grandes lignes du rapport

Constat opéré par Jean-Christophe Ruffin : les formes d’expression du racisme sont nombreuses et complexes. Les violences, insultes et actes d’intimidation sont les plus spectaculaires, ceux qui laissent des traces et peuvent être confirmés par des témoins. Mais d’autres phénomènes, plus silencieux, constituent une forme aussi grave, parfois plus, du racisme : la discrimination dans le travail, l’accès au logement, l’éducation. Ainsi va le racisme, qui en fait un sujet déroutant, à aborder avec prudence. Les « frottements » de la vie en société, particulièrement dans les grandes villes, peuvent faire exploser des paroles à caractère raciste et provoquer un grand tapage, constate le rapporteur (page 37).

La réponse politique

Selon le rapporteur, il faudrait à tout prix équilibrer soigneusement les réactions politiques lorsqu’un acte grave est porté à la connaissance des autorités. « La réactivité aux actions antisémites a été forte », écrit-il, « trop forte sans doute si l’on observe les affaires survenues pendant l’été », précise-t-il. « Au contraire, l’impression chez beaucoup de membres de communautés qui subissent elles aussi des agressions est que l’attention qui leur est portée n’est pas suffisante ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, en réalité, ces démarches politiques « à chaud » n’ont que peu d’influence sur les actions de fond qui doivent être menées. « L’essentiel est ailleurs : dans le symbole. Les victimes ne voient dans la réaction politique ni une protection (il est en général trop tard), ni une condamnation des coupables (il est en général trop tôt) mais plutôt comme le baromètre du respect que leur témoigne la nation. Le politique ne doit pas se mobiliser seulement en fonction de la gravité des actes commis ; il doit surtout rassurer ceux qui, dans l’épreuve, mesurent la fragilité de leur intégration citoyenne » (p.38).

La réponse policière

Jean-Christophe Ruffin le souligne d’emblée : « ce n’est pas faire injure aux forces de police que de leur rappeler qu’en matière de racisme, ils se doivent d’être irréprochables ». De grands efforts de formation et d’information ont été menés ces dernières années, rappelle-t-il et la police est consciente de ces impératifs déontologiques. C’est ainsi que l’amélioration de l’accueil et de l’écoute a permis aux policiers d’accompagner la mutation de plus en plus sociale de leur métier. « Reste que la création dans les postes d’un référent anti discrimination, demandée conjointement par nous et par le chantier « égalité des chances » devrait encore améliorer la prise en charge des victimes du racisme » (p.39). Reste également qu’il y aurait certainement beaucoup à attendre de la poursuite « d’un recrutement policier plus diversifié au regard des origines ethniques. Le programme des « Cadets de la République » ouvre ainsi les carrières policières à des jeunes issus des quartiers difficiles. La mixité d’origine dans le recrutement policier semble avoir, à terme, des effets favorables ».

La réponse judiciaire

C’est certainement dans ce domaine que la législation actuelle montre ses limites (non pas dans les principes mais dans les procédures), selon Jean-Christophe Ruffin. En effet, toute injure, diffamation ou incitation à la haine raciale, dès lors qu’elles sont publiques, tombent sous le coup de la loi de 1972 et de ce fait se trouvent placées dans le cadre procédural très particulier de la loi sur la presse de 1881. « On aboutit ainsi à des résultats paradoxaux : pour des événements relativement bénins (ce qui ne veut pas dire tolérables) on enclenche une procédure d’une grande lourdeur vu les protections qu’elle garantit, qui aboutit trop souvent à l’abandon des poursuites pour diverses raisons de nullité ». « On prend un marteau pour écraser une mouche et finalement on se tape sur le doigt », ironise le rapporteur.

La réponse scolaire

Là encore, il faut faire preuve de discernement dans la judiciarisation des comportements racistes à l’école. Il est capital de distinguer ce qui est superficiel, tel que les injures proférées entre groupes dans le cours de la vie scolaire et ce qui peut devenir une véritable persécution par la mise à l’écart, la stigmatisation violente et parfois l’agression physique d’un élève ou d’un groupe minoritaire et vulnérable. Cette dimension de protection est essentielle dans la réponse scolaire et la judiciarisation qui s’y attache, souligne le rapporteur.

Lutter contre l’organisation raciste

Premier point développé par Jean-Christophe Ruffin : contrairement aux actes antisémites, où la participation de ce courant est devenue minoritaire, l’extrême droite continue de porter une importante responsabilité dans des actes de violence raciste. Un certain partage des tâches existe en la matière entre les idéologues qui stigmatisent l’étranger et les hommes de main prêts à passer à l’acte.

Le pôle légaliste composé des grands partis d’extrême droite se garde évidemment de toute participation directe à des violences. L’action est menée sur les marges, par des éléments isolés ou groupusculaires. Même au sein de ces groupuscules, il faut encore distinguer entre doctrinaires et activistes. On parvient ainsi à tracer les contours de la subtile géographie de ces milieux. L’absence de coordination centralisée donne à ces réseaux une large autonomie et une spécificité locale. Pour agir sur ces activistes d’extrême droite, une approche très locale est donc nécessaire, élaborée en référence aux situations particulières, note Jean-Christophe Ruffin.

Le cas des violences racistes en Corse fait l’objet d’un chapitre spécifique : pour Rufin comme pour Villepin, elle est le fait de microgroupes mafieux se livrant à des rackets, «très isolés dans l’ensemble de la population».

Sur les réseaux virtuels, Internet constitue, en matière de racisme, un réseau de tags planétaires autrement plus dangereux. En matière d’organisation du racisme, au sens du regroupement et de l’articulation d’opinions d’origines diverses, la « toile » constitue sans doute le principal défi, note avec justesse Ruffin.

Le rapport propose enfin un débat national sur la migration économique afin de «sortir du mythe de l’immigration zéro». L’idée étant de «décriminaliser l’image de l’étranger nourrie de stéréotypes désastreux à base de parasitisme, fraude et paresse».

Antisémitisme : les grandes lignes du rapport

Selon Rufin, trois formes d’antisémitisme soulignent des responsabilités spécifiques et appellent des réponses individuelles. Les chiffres représentent la partie visible, quantifiable, de la violence antisémite. Mais que recouvrent ces actes ? Qui les commet ? Qui les inspire ? Qui en tire profit ? Pourquoi se sont-ils multipliés ces dernières années ? Et surtout, comment les réduire et restaurer un climat de confiance ? Les explications généralement mises en avant sont les suivantes :

- la baisse tendancielle de l’extrême droite dans la responsabilité des violences antisémites ;

- la montée d’un « nouvel » antisémitisme qui serait le propre de jeunes issus de l’immigration, en particulier maghrébine. Leurs passages à l’acte semblent étroitement corrélés aux évènements du Moyen-Orient.

Le rapport avance que ces explications, sans être fausses, ne rendent pas compte de la complexité des faits. Surtout, elles ne permettent pas de tirer de conclusions pour l’action. C’est pourquoi, il préfère aborder ces questions selon trois niveaux de responsabilités :

1) L’antisémitisme comme pulsion :

Les auteurs des violences, dont la majorité « ne peut être cataloguée ni à l’extrême droite, ni parmi les délinquants connus des quartiers difficiles » (la plupart des jeunes interpellés dans ces quartiers pour actes antisémites ne sont pas d’origine maghrébine, mais originaires de pays sans lien avec la question israélo-arabe), selon le rapporteur. « Le trait commun semble plutôt à rechercher du cote du déracinement, de la perte de repère, de l’échec social et de la confusion identitaire. ≫ Cette affirmation soulève la question des sources utilisées par le rapporteur, en particulier concernant les pays d’origine des agresseurs ? Si ces derniers n’ont aucun lien avec le conflit israélo-palestinien, comment expliquer alors que les agressions se multiplient chaque fois que les tensions s’intensifient en Israël ?

2) Les manipulateurs : l’antisémitisme comme stratégie et par procuration

Selon Rufin, les manipulateurs sont l’extrême droite et les milieux terroristes. Que dit-il à ce sujet ? Que l’on peut être « agacé par les jugements à l’emporte-pièce, en particulier à l’étranger, « quand ils font de la France un pays globalement antisémite ». Il a raison. De plus, les Juifs sont admirablement intégrés dans la société française: « la République a su secréter quand il le fallait les anticorps nécessaires pour combattre l’antisémitisme. Cela ne signifie pas pour autant que les préjugés aient disparu », certes. La nouveauté selon Rufin est que ces préjugés « n’ont plus à s’exprimer directement par des propos, des écrits ou des actes. Il suffit de laisser agir les jeunes irresponsables des banlieues difficiles », écrit-il. Ainsi Rufin veut-il définir un « antisémitisme par procuration ». Selon lui, « il est le fait de personnes qui ne se rendront elles-mêmes coupables d’aucune exaction, qui ne manipuleront pas directement des auteurs de passage à l’acte, ne les inciteront pas ouvertement à agir, mais dont pourtant les opinions, les propos et quelquefois simplement le silence viendront a l’appui de ces violences ». Par ailleurs, il soutient ensuite que l’antisémitisme menace la République car il la frappe en son cœur : ses valeurs : la fraternité et le vivre ensemble.

A toutes ces questions et réflexions, Rufin apporte les réponses suivantes :

« La création d’un observatoire national de l’antisémitisme, doté de compétences universitaires pluralistes, serait un moyen d’approfondir ces questions et de nourrir le débat public sur des bases plus sérieuses. » L’idée est intéressante, mais pas nouvelle. Un tel observatoire a déjà été créé par SOS Racisme en 1989 en vue d’analyser et de répertorier les comportements antisémites en France, et présidé par le politologue et historien des idées Pierre-André Taguieff. Mais, celui-ci a quitté son poste en 1991, en raison de désaccords avec l’institution sur la conception de l’antiracisme.

Une réflexion d’ensemble doit également être menée sur l’enseignement de la Shoah, avec les associations et fondations qui œuvrent dans ce domaine. Il est à la fois nécessaire de le renforcer et, peut-être de le réorienter en fonction des circonstances présentes, de façon a mieux rendre sensible en quoi, que l’on soit juif ou non, chacun est concerné.

Lutter contre « l’esprit de Durban » et Rufin a bien raison. Durban a officialisé, légitimé l’antisémitisme. Lutter contre l’esprit de Durban, c’est pointer du doigt l’esprit criminel qui prévalait lors de cette conférence, et qui a prévalu depuis, faisant d’Israël, des Juifs, des sionistes, les responsables de tous les maux de l’Humanité, la quintessence du mal, d’un mal absolu.

Sur « l’esprit de Durban », Rufin fait l’analyse suivante : qu’un discours dominant émerge : l’antisionisme. Pour Rufin « cet antisionisme revêt différentes formes d’expression qui servent d’écran les unes aux autres et contribuent à le banaliser. » Cet antisionisme moderne « est né au confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers-mondistes et écologistes ». Un antisionisme qui est fortement représenté « au sein d’une mouvance d’extrême gauche altermondialiste et verte », explique-t-il. Dans cette représentation du monde, « Israël, assimilé aux Etats-Unis et à la mondialisation libérale, est présenté comme un Etat colonial et raciste qui opprime sans fondement un peuple innocent du Tiers-Monde. »

Il précise aussitôt que cet antisionisme « n’est pas la simple critique d’une politique, mais bien une remise en cause des fondements même de l’Etat d’Israël. » L’antisionisme est en effet amalgamé à des thématiques auxquelles les jeunes sont sensibles: l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. Par ailleurs, l’intervention de penseurs « islamistes modérés », dont le « discours reste ambigu complète cette identification et la prolonge ». Derrière les critiques violentes qui assimilent le sionisme au nazisme, « on entend, en écho subliminal, la voix interdite mais bien relayée des terroristes islamistes qui généralisent le combat et affirment « qu’il faut attaquer les Juifs partout où ils se trouvent ». Ainsi se trouve constitué l’une des mécanique les plus redoutables aujourd’hui qui fait d’un antisionisme en apparence politique et antiraciste l’un des facteurs facilitateurs du passage à l’acte, l’un des instruments de l’antisémitisme par procuration ».

De fait, quelle est l’attitude à adopter face à l’antisionisme ? Ruffin répond qu’elle est difficile à déterminer et les Juifs sont sans doute les plus mal places pour agir. « Il a été maintes fois souligne qu’on ne devait ni ne pouvait assimiler les Juifs de France à Israël. Le soupçon de double allégeance est un des thèmes classiques de l’antisémitisme. Beaucoup de juifs français se sentent mal à l’aise lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur Israël. Ce d’autant qu’ils sont souvent divises quant à leur jugement sur la politique de son gouvernement. Autant l’antisémitisme les trouve mobilisés, autant l’antisionisme les prend au dépourvu car il joue sur le caractère complexe, intime et à certains égards paradoxal du lien entre Israël et les Juifs de France », précise-t-il. De fait, l’antisionisme radical « enferme les Juifs dans un piège redoutable : il les désigne ici à la vindicte de ceux qui s’identifient aux victimes de l’Etat d’Israël », observe-t-il.

Ce serait alors une grande lâcheté que de laisser la communauté juive se débattre seule dans ces sables mouvants. « Si l’on estime que l’antisémitisme a reculé grâce au droit (en particulier la loi de 1972), il faut tenter d’appliquer la même méthode à la nouvelle judéophobie et il revient aux autorités politiques d’en prendre l’initiative. »

Les réactions au rapport Ruffin et la polémique

Les associations, globalement favorables au rapport Rufin sont divisées néanmoins sur l’une de ses propositions: la pénalisation de l’antisionisme radical au même titre que l’antisémitisme. Les critiques, notamment de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et du MRAP, portent sur un point très particulier : la proposition de « punir les accusations de racisme » portées contre « des groupes, institutions ou Etats ≫, à commencer par Israël. Cet « antisionisme radical » peut en effet, selon Rufin, s’apparenter a de l’antisémitisme.

Dans l’édition de Libération du 22 octobre 2004, le président de la LDH, Michel Tubiana, parle d’un vrai « dérapage ». Jean-Christophe Rufin, dit-il, « joue au pompier pyromane », et son rapport instaure un déséquilibre au profit du problème de l’antisémitisme. Reprochant à l’auteur de « ne prendre aucune distance » et de « réintroduire le débat sur le conflit du Proche-Orient », Tubiana souligne que la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) tomberait sous le coup de la loi si cette proposition était adoptée. Le MRAP, qui se dit pourtant globalement satisfait de l’analyse et des propositions du rapport, émet également de fortes réserves sur ce point. Enfin, dans Le Monde diplomatique du 21 octobre 2004, le journaliste Dominique Vidal tout en reconnaissant dans le rapport Rufin « un certain nombre de suggestions positives » (en particulier celles qui prennent en compte les propositions de la CNDCH et des associations antiracistes –, souligne selon lui deux erreurs: « séparer radicalement l’antisémitisme des autres formes de racisme » par « une hiérarchisation implicite des racismes » visant à présenter l’antisémitisme comme « un “racisme” en quelque sorte supérieur aux autres ». Et « assimiler antisémitisme, “antisionisme radical” et critique de la politique du gouvernement israélien, pour placer sur le banc des accusés “l’extrême gauche altermondialiste et verte” » directement visée par la partie du rapport qui propose le vote, par le Parlement, d’une nouvelle loi destinée à punir « ceux qui porteraient sans fondement à l’encontre de groupes, d’institutions ou d’Etats des accusations de racisme ≫. En conclusion, Vidal trouve paradoxal que Jean-Christophe Rufin se fasse ainsi « le héraut du délit d’opinion ».

Dans Le Monde du 2 novembre 2004, Jean-Christophe Rufin s’efforce de désamorcer la polémique naissante avec les associations par une mise au point : il appelle à « pacifier le débat sur le racisme et l’antisémitisme » : « En France, aujourd’hui, il existe un nombre important de personnes, la plupart du temps jeunes, voire très jeunes, souvent issues de l’immigration – pas nécessairement maghrébine, contrairement aux idées reçues –, que la perte de repères, la frustration sociale et de nombreuses discriminations rendent vulnérables à des idéologies dangereuses qui les mènent vers la violence. L’existence de ce public chauffe a blanc doit nous inciter tous a la responsabilité. Les mots, dans ce contexte, peuvent tuer… Ceux qui ont l’oreille des jeunes, parce qu’ils traitent de questions qui les passionnent, telles que l’écologie, l’avenir du tiers monde et de la mondialisation, me paraissent avoir un devoir de vigilance dans leurs propos. Sans doute la formalisation de cette idée a-t-elle pris, dans mon rapport, une manière trop abrupte. Le fait d’évoquer la possibilité de créer de nouveaux outils juridiques était probablement maladroit. La présentation simplifiée de cette proposition a pu laisser croire, a tort, qu’il s’agissait d’attenter à la liberté d’opinion. Je m’en excuse auprès de ceux qui ont pu être abusés de bonne foi. »

En revanche, dans la communauté juive et a SOS Racisme, le rapport est accueilli avec satisfaction, qualifié de « travail d’analyse important », dont « l’auteur a essayé de comprendre et de trouver des propositions originales, juge Haïm Musicant, directeur général du CRIF. Il dénonce d’une manière très fine les antisémites par procuration qui se cachent derrière une forme d’antisionisme ». L’UEJF approuve surtout le fait que soient analysées les « différences d’origine, de nature et d’expression » entre racisme et antisémitisme, « qui doivent donc faire l’objet de traitements spécifiques ». « Ce rapport permet de sortir une fois pour toute du discours simpliste et inopérant de la lutte contre l’intolérance », selon son président, Yonathan Arfi. « C’est une bonne analyse de ce nouvel antisémitisme qu’on voit poindre dans la société française, un antisémitisme d’extrême-gauche qu’on ne connaissait pas il y a quelques années ≫, affirme Assane Fall, secrétaire général de SOS-Racisme, qui regrette par ailleurs que le rapport occulte « les discriminations, alors que c’est la réalité quotidienne de millions de personnes dans notre pays ».

Au-delà de cette polémique, que reste-t-il du rapport Ruffin, dix ans plus tard ?

A notre connaissance, ce rapport ne donnera lieu à aucune mesure concrète, comme toujours (ou presque) en France. Car, et en vérité, nous souffrons dans ce pays de cette étrange « maladie » : une surabondance de rapport sur toutes sortes de sujets mais qui, au final, se retrouvent dans quelques tiroirs fermés de ou des ministères et par là-même sont totalement oubliés.