Tribune
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Publié le 26 Mars 2012

Intifada française ? Une mouvance propalestinienne très hétéroclite…

Par Marc Hecker

Article publié sur le blog ULTIMA RATIO, le 16 mars 2012.

 

De nouveaux heurts ont éclaté entre Israéliens et Palestiniens, malgré l’annonce d’une trêve en début de semaine dernière. Si la situation à Gaza et dans le sud d’Israël venait à s’embraser, le spectre des manifestations violentes qui avaient eu lieu à Paris au moment de la guerre de 2008-2009 réapparaîtrait. Ces manifestations dites « unitaires » rassemblaient des mouvements extrêmement variés, de l’extrême gauche aux groupuscules islamistes. Certains observateurs n’avaient pas manqué d’y voir les prolégomènes de l’avènement de l’«islamo-gauchisme». Les choses sont en réalité plus nuancées. S’il était effectivement possible, en parcourant ces défilés, de voir des organisations aussi diverses que la Confédération nationale du Travail, le Nouveau Parti Anticapitaliste, le Parti de Gauche, l’Union des Organisations islamiques de France, le Centre Zahra ou le collectif Cheikh Yassine, les leaders de ces mouvements ne marchaient pas pour autant bras dessus, bras dessous.

Pour utiliser une comparaison qui peut paraître surprenante et qui a bien sûr des limites, la « géographie humaine de la manifestation » ressemble à ce qui peut être observé dans un stade de football : les personnes qui s’y rendent ont un objectif commun – la défense d’une équipe pour les amateurs de football, la défense d’une cause dans le cas des manifestants –, mais au-delà de cet objectif, les différences sont nombreuses. Ce n’est pas parce qu’un homme politique, un chef d’entreprise, un ouvrier et un hooligan se trouvent dans un stade donné au même moment qu’ils sont nécessairement assis côte et côte et qu’ils partagent les mêmes idées. La géographie du stade est clairement définie et pensée au préalable par les architectes – pour simplifier, l’homme politique ira dans la tribune « présidentielle », le chef d’entreprise dans les « loges », l’ouvrier dans les « tribunes populaires » et le hooligan dans le « quart de virage » réservé aux « ultras » –, ce qui n’est pas le cas pour un rassemblement humain mouvant et informel comme une manifestation. Néanmoins, une manifestation suppose un minimum d’organisation et une certaine répartition de l’espace – plus ou moins décidée à l’avance entre les organisateurs.

 

Le premier défilé conséquent mis sur pied pour protester contre l’opération israélienne à Gaza a eu lieu le 30 décembre 2008 depuis le boulevard du Montparnasse jusqu’au ministère des Affaires étrangères. Le cortège semblait divisé en quatre blocs. En tête se trouvaient les associations propalestiniennes consensuelles. On pouvait notamment apercevoir dans ce groupe un grand drapeau de l’Association France Palestine Solidarité et un portrait de Yasser Arafat. Le deuxième bloc était constitué d’environ deux cents à trois cents hommes, portant des panneaux en arabe et scandant des slogans dans cette langue. Certains de ces hommes étaient vêtus des habits traditionnels des musulmans orthodoxes. Ce bloc était le plus restreint, mais le plus bruyant et le plus virulent. Une pancarte portait la mention : « La victoire ou le martyre » et les manifestants hurlaient sporadiquement, en arabe : « Allah Akbar », « Birouh, bidam, nafdiki ya Ghaza » (« Nous sacrifierons notre âme et notre sang pour toi Gaza »), « Khaybar khaybar ya yahoud, djaychou Mohamed sayaoud » (« Juifs, rappelez vous de Khaybar car l’armée de Mohamed va revenir »). Ce dernier slogan – employé également lors des rassemblements de soutien aux Palestiniens organisés dans les pays du Maghreb  – fait référence à une bataille qui se déroula en 628 et se traduisit par la victoire de Mahomet et de ses hommes sur les Juifs habitant l’oasis de Khaybar. Le troisième bloc de la manifestation – très imposant – était composé de militants d’extrême gauche. Des dizaines de drapeaux du PCF, de la CGT et de la LCR étaient visibles dans cette section du défilé. Enfin, en queue de cortège se trouvaient les militants et sympathisants de la Coordination des appels pour une paix juste au Proche Orient (CAPJPO), une organisation critiquée au sein même de la mouvance propalestinienne en raison notamment de ses liens passés avec Dieudonné.

 

Ces groupes entretiennent des relations parfois tendues. Certains soutiennent le Hamas et le recours à la violence, d’autres pas. Certains sont favorables au retour des réfugiés palestiniens sur tout le territoire de la Palestine mandataire, d’autres estiment que défendre cette position revient à faire capoter toute négociation israélo-palestinienne. Certains pensent qu’il ne doit pas y avoir de prières publiques pendant les manifestations, d’autres affirment qu’une telle pratique ne pose pas problème. Bref, les antagonismes sont nombreux et considérer la mouvance propalestinienne comme un bloc monolithique revient à commettre une vraie erreur de jugement.

 

P.S.: Qu’il me soit permis de profiter de ce billet pour faire un peu d’autopromotion éhontée! Mon livre Intifada française ? De l’importation du conflit israélo-palestinien (Ellipses, 2012) sera disponible en librairie à la mi-avril. Les journalistes qui souhaitent obtenir un exemplaire en service de presse peuvent contacter l’éditeur à l’adresse suivante : presse@editions-ellipses.fr

 

Ndlr : nous remercions ULTIMA RATIO pour la publication de cet article

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