Tribune
|
Publié le 31 Janvier 2014

Islamisme, attraction fatale

Analyse d’Alain Frachon publiée dans le Monde le 31 janvier 2014

 

Ils viennent du monde arabe, du Caucase et même d’Europe de l’Ouest. Depuis plus de trois ans déjà, la Syrie est le combat de milliers de jeunes musulmans – leur guerre d’Espagne, peut-être. Le tyran à abattre est l’un des plus brutaux de la région, Bachar Al-Assad. Les enjeux stratégiques de cette guerre ont été décryptés à satiété, mais on a moins relevé ceci : dans la rébellion, les combattants étrangers rejoignent d’abord les organisations islamistes. Pourquoi ?

Ils auraient pu choisir l’Armée syrienne libre, celle qu’encadrent d’anciens officiers de l’armée du régime, idéologiquement plus diversifiée. Non, les engagés volontaires, les « brigadistes » venus d’ailleurs, vont tous, ou presque, dans les groupes islamistes. Ils se battent au nom de l’islam radical, certains sous licence Al-Qaida.

Plus d’un quart de siècle après la guerre d’Afghanistan contre l’URSS, plus de treize ans après les attentats du 11-Septembre et trois ans après la mort d’Oussama Ben Laden, le fanion de l’islamisme militant séduit toujours. Partout où cette idéologie a inspiré un quelconque pouvoir, le résultat a été désastreux au mieux, cauchemardesque le plus souvent. Mais, pour parler en jargon économiste, l’attractivité de l’islamisme ne paraît pas en baisse. Au contraire, les islamistes dominent la rébellion armée.

 

On connaît les explications d’ordre géostratégique. Tous les pays arabes du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite, appuient, organisent, financent des groupes islamistes en Syrie. C’est la réponse du monde sunnite, la branche majoritaire de l’islam, à un régime qui ne survit que grâce au soutien militaire venu du monde chiite (Iran, Hezbollah libanais et milices irakiennes).

 

Mais il y a d’autres raisons, peut-être plus profondes, à cette séduction renouvelée de l’islamisme sur une partie de la jeunesse arabo-musulmane. L’écrivain Boualem Sansal les analyse dans un petit livre aussi brillant qu’érudit : gouverner au nom d’Allah (Gallimard, 2013). Romancier algérien et impitoyable contempteur des régimes arabes, Sansal commence avec ce sentiment d’humiliation, justifié ou non, qui, après la faillite du nationalisme arabe tiers-mondiste et socialisant, expliquerait l’attrait islamiste : une réponse à l’échec « laïque ».

 

Elle entraîne une sorte de régression-refuge dans l’idée que, face à la complexité du monde, il faut retourner à la simplicité du califat des origines (VIIe siècle), par la force s’il le faut. Ici jouent sans doute l’attrait propre à la radicalité, la fascination pour l’extrémisme, les solutions « totales », comme le monde l’a expérimenté, pour son malheur, tout au long du XXe siècle. L’islamisme serait un autre totalitarisme, une explication globale à laquelle il suffit de se conformer : l’islam, cette fois, est « la » solution…

 

Boualem Sansal pointe ensuite la complicité des régimes arabes. « Ils combattent le terrorisme et protègent l’islamisme qui est sa matrice idéologique », écrit-il. Comment ? Réponse : « Ils livrent l’enseignement de l’islam à des charlatans ou des idéologues qui transforment l’islam en islamisme. » Il stigmatise une éducation historique et religieuse totalement dépourvue de réflexion critique, et qui entretient une seule version de l’islam et du Coran, la plus fondamentaliste et la plus intolérante… Lire la suite.