Tribune
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Publié le 17 Juillet 2014

Jusqu’ici, la justice était rarement «ferme»

Par Ondine Millot, publié dans Libération le 16 juillet 2014

En 2011, 24 peines d’emprisonnement sans sursis ont été prononcées sur 216 pour des injures et provocations racistes. Des exemples rares, mais édifiants.

La vidéo s’intitule «Les quenellistes pissent sur la préfecture» et, effectivement, on y voit un jeune homme uriner sur la porte de la préfecture d’Amiens. Juste avant, il a improvisé avec un compère un petit rap d’injures à l’attention du secrétaire général de la préfecture (qu’il prend par erreur pour le préfet) : «Suceur de sionistes, sale pute à Juifs, sale pute du CRIF [Conseil représentatif des institutions juives de France, NDLR] […]. Eh, franchement, quand j’pense à Jakubowicz, je m’dis Auschwitz… dommage.»

Absent. Le point commun avec Anne-Sophie Leclère, à part la finesse du propos ? Pierre-Marie Payet, 28 ans, et Lofti Ftaiti, 31 ans, font partie des rares personnes à avoir été condamnées en France à de la prison ferme pour «injure publique et provocation à la haine raciale». Le 22 avril, le tribunal correctionnel d’Amiens a prononcé à leur encontre une peine de cinq mois de prison ferme et 1 000 euros d’amende.

D’après les chiffres fournis par la chancellerie à Libération, en 2011 (année la plus récente pour laquelle on dispose de données définitives), 24 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées en matière de provocation, injure ou diffamation à caractère raciste - sur un total de 216 peines.

Il est important, toutefois, de nuancer ces chiffres en fonction de la présence ou non de la personne jugée à l’audience. Lorsque le prévenu est absent, comme Anne-Sophie Leclère, la sentence est toujours beaucoup plus sévère. Ainsi, pour les injures et provocations racistes, la peine de prison ferme concerne 7% des affaires jugées en présence du prévenu, et 25% de celles où il était absent. Il a dans ce cas la possibilité de faire appel et d’être rejugé.

Pierre-Marie Payet et Lofti Ftaiti, eux, étaient bien à leur procès, mais n’y ont pas formulé le moindre remords. Ce qui, couplé à la violence de leurs proclamations, peut sans doute expliquer la lourdeur de la peine. «Ben oui, j’ai dit "Auschwitz dommage". Je n’allais pas dire Auschwitz super, Auschwitz youpi ?» narguait Payet à l’audience, invoquant la «liberté d’expression» des rappeurs et parlant de «performance artistique».

Plus au sud, à Toulon, une autre condamnation «ferme» pour injures racistes a fait un peu de bruit en juin 2013. Il s’agissait d’un jeune d’origine maghrébine d’une trentaine d’années, condamné à trois mois de prison pour avoir traité deux passants de «sales Blancs». Mais même si l’injure raciste avait été retenue et mise en avant, les mots avaient été accompagnés de plusieurs coups de poing et d’un coup de tête, ce qui explique aussi en bonne partie la sévérité de la sanction. Un mandat de dépôt (incarcération immédiate) avait d’ailleurs été décidé, ce qui n’a pas été le cas pour les «rappeurs» amiénois, ni pour Anne-Sophie Leclère… Lire la suite.