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Les militaires avaient disparu des abords de l'université qui, durant toute cette crise, avait été choisie par les Frères musulmans comme l'un de leurs deux points de ralliement dans la capitale. La Confrérie a clairement refusé d'entrer dans un scénario à l'algérienne des années 1990, où les islamistes avaient versé dans le combat clandestin après que l'armée leur eut confisqué leur victoire électorale. Elle a décidé de ne pas venger dans le sang ses cinquante militants tués à l'aube du lundi 8 juillet alors qu'ils campaient devant l'entrée de la caserne de la Garde présidentielle, pour exiger qu'on leur rende leur président Morsi, arrêté depuis le coup d'État militaire du mercredi 3 juillet. Abrutis par le jeûne, les militants barbus étaient peu nombreux à tenir encore les barricades de fortune autour de l'université, barrages peu stratégiques que l'armée n'avait même pas tenté de dégager, dans un apparent souci d'apaisement. Tous les soirs, la télévision est pleine d'images des combats en Syrie ; les Égyptiens sont unanimes à ne pas vouloir sombrer dans la guerre civile.
Soucieux de montrer leur attachement à la démocratie, les militaires ont poussé le président par intérim Adli Mansour à afficher un calendrier constitutionnel très clair, en cinq paliers. Un, formation d'un gouvernement de transition d'union nationale. Deux, rédaction d'une nouvelle Constitution, dans un sens moins islamique et plus protecteur des droits de l'homme. Trois, référendum. Quatre, élections législatives. Cinq, scrutin présidentiel. Et tout cela en sept mois… Il faut comprendre que les citoyens anti-Morsi, qui au Caire sont beaucoup plus nombreux que les partisans du président islamiste déchu, ne s'estiment absolument pas putschistes. Leur raisonnement est le suivant: Moubarak a été dégagé par la révolution du 25 janvier (2011) ; puis vint une deuxième révolution, celle du 30 juin (2013), qui rassembla des foules encore plus nombreuses que la première et qui gagna les villes de province ; en virant Morsi, les militaires n'ont fait qu'obéir au peuple souverain…
En Égypte, le jeu politique est devenu plus clair: le nouveau gouvernement cherche à créer une légitimité, les Frères cherchent à perpétuer celle qu'ils avaient gagnée lors de la présidentielle de juin 2012.
Terne juriste, le président Mansour s'est vu adjoindre un vice-président plus médiatique et connu à l'étranger, Mohamed ElBaradei, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique de Vienne. Le libéral ElBaradei présidait jusqu'à maintenant le Front de salut national, sorte de fédération de tous les partis laïcs qui s'opposaient à l'islamisme de Morsi. Ce poste de compensation lui a été attribué après qu'il eut manqué celui de premier ministre, en raison du veto mis par le parti salafiste al-Nour. Ce parti, qui veut se venger du mépris que lui a toujours montré son aîné en islamisme, la Confrérie, avait approuvé le coup d'État du général al-Sissi.
Le nouveau premier ministre, le neutre professeur d'économie el-Beblawi, parviendra-t-il à attirer tous les partis dans son gouvernement? C'est très improbable. Les Frères musulmans ont déjà annoncé qu'ils refuseraient. L'un d'eux nous confiait: «ils nous tirent dessus, et ils veulent que nous nous rendions ensuite à leur table! Pas question!» Pour les Frères, tout est négociable, mais seulement avec un Morsi réinstallé dans son palais. Mercredi dans l'après-midi, le procureur général ordonnait l'arrestation de Mohammed Badie, le guide suprême de la Confrérie, en raison de son discours, jugé incendiaire, lors de la grande prière du vendredi 5 juillet. La police le trouvera-t-elle facilement? La rumeur court que ce jour-là, le guide suprême s'était rendu au lieu de rassemblement de Nasr City déguisé en femme en niqab. Cette action judiciaire n'est bien sûr pas de nature à amener les Frères à participer au gouvernement de transition. Iront-ils plus tard aux urnes? Prudents, ils n'ont encore rien déclaré à ce sujet. L'ancien président Morsi n'est, en revanche, pas poursuivi. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a juste déclaré qu'il était traité dignement, sans préciser le lieu de sa détention.
Pour faire réussir la seconde transition égyptienne, trois pétromonarchies du Golfe, dont les souverains détestent les Frères musulmans (l'Arabie, les Émirats et le Koweït), se sont cotisées. Elles ont envoyé la bagatelle de 12 milliards de dollars en dépôt auprès de la Banque centrale égyptienne. Les militaires syriens doivent éprouver une petite nostalgie. Naguère, avant que ne surviennent tous ces «printemps arabes», c'était leur régime que couvraient d'or les monarques pétroliers…