Tribune
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Publié le 24 Octobre 2012

L’antisémitisme égyptien, de Moubarak à Morsi

Manfred Gerstenfeld s’entretient avec l’Ambassadeur Zvi Mazel (adaptation en français : Marc Brzustowski).

 

“L’antisémitisme et ce qu’on peut appeler l’anti-israélisme ou antisionisme se conjuguent depuis des décennies en Égypte. On a souvent recours aux pires clichés antisémites pour attaquer Israël. La  plupart des Égyptiens ne font pas de différence entre Israël et les Juifs. Même s’ils s’en prennent parfois à l’un et parfois aux autres.

“Les expressions de cette  haine viscérale se poursuivent aujourd’hui exactement comme du temps de Moubarak, qui fut Président d’Égypte de 1981 à 2011. Pour comprendre  comment s’effectue  la diabolisation massive d’Israël et des Juifs, il faut  l’analyser avec le recul pris sur le long terme de la période précédente».

 

Zvi Mazel a été Ambassadeur d’Israël en Égypte de 1996 à 2001. Il a aussi occupé des postes diplomatiques en Roumanie et en Suède. Il est, à présent, expert permanent du Centre des Affaires publiques de Jérusalem, en tant qu’observateur des problèmes du monde arabe.

 

“ La visite historique du Pape Jean-Paul II en Égypte en 2000 a fourni une éclatante démonstration internationale de   la stigmatisation de tous les Juifs. La Gazette égyptienne, le quotidien en langue anglaise, qui fait partie de l’empire médiatique du pouvoir publia à cette occasion un éditorial en Une, intitulé : « Qui doit de réelles excuses ? ». Il faisait ainsi référence à l’absolution accordée aux Juifs pour le prétendu « meurtre de Jésus » [Concile Vatican II]. Selon le rédacteur en chef Ali Ibrahim, cette absolution faisait table rase de  2000   de prières et de  rituels  chrétiens. Il en déduisait que les États-Unis avaient sûrement fait pression sur le Vatican pour qu’il absolve les Juifs, dans le seul et unique but de renforcer la position d’Israël.

 

“Sous Moubarak, on a assisté à une véritable emprise de l’état sur les médias dont il était propriétaire et tous les autres journaux subissaient une censure draconienne. Il était interdit de critiquer le Président, les forces armées et le traitement subi par la minorité copte.  Par contre s’agissant d’Israël et des Juifs, on pouvait  les attaquer et   les diffamer sans réserve. Les journaux islamistes tiraient leur inspiration de la ligne officielle et leurs messages antisémites et de haine envers Israël étaient trempés au vitriol.

 

“Les Juifs sont essentiellement représentés, dans les dessins, vêtus de vêtements traditionnels et de grands chapeaux noirs, avec de grands nez crochus et faisant des courbettes obséquieuses. On les montre fréquemment en train de massacrer des Palestiniens ou d’éventrer au couteau des colombes de la paix. En bien des occasions, on présente les Juifs comme des voleurs et des menteurs. Ils sont désignés, de façon routinière, comme « des descendants de singes et de porcs ». En 1997, l’hebdomadaire Rose al Yussef a publié une étude qui a fait l’objet d’un débat au sein de l’Association arabe des Sciences sociales. Elle déterminait, à partir de « sources » dont l’origine demeurait floue, que les Juifs étaient  perçus, en Égypte, comme « répugnants », « qu’ils parlent avec des intonations nasales » et qu’ils sont foncièrement « malhonnêtes ».

 

“Un autre sujet de haine important correspond à l’idée que les Juifs sont la racine de tous les maux et qu’ils représentent une menace pour la paix mondiale. Les articles qui se consacrent à cette thématique sont souvent fondés sur les Protocoles des Sages de Sion, les accusations de meurtres rituels et même sur des textes déformés issus du Talmud. On y manifestait le plus grand respect pour l’auteur français, négationniste prépondérant de la Shoah, Roger Garaudy, qui vient de décéder en 2012. L’initiative prise par Gunnar Persson,  le Premier ministre suédois de l’époque, d’organiser une conférence internationale sur l’enseignement  de la Shoah, a été dénoncée avec la plus grande  énergie en Égypte. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.

 

“La prise du pouvoir par les Frères Musulmans, en Égypte, met en évidence un mouvement pour lequel la haine des Juifs est consubstantielle. Cette organisation fut fondée en 1928 en Égypte par un instituteur, Hassan al-Banna, qui voulait en faire  un mouvement panislamique. Il s’est ingénié à développer une version musulmane de l’antisémitisme nazi. Il suffit, pour le constater, de voir que le livre d’Hitler, Mein Kampf, a été traduit en arabe sous le titre : « Mon Jihad ». D’autres publications antisémites nazies ont fait l’objet de traductions. Des caricatures publiées  dans le journal de haine nazi, Der Stürmer, ont été reprises et  adaptées pour faire des Juifs  les ennemis sataniques d’Allah, après avoir été désignés comme ceux du peuple allemand. Dans son livre cultivant un antisémitisme populaire, My battle with the Jews [mon combat contre les Juifs], l’écrivain et théoricien islamiste Sayyid Qutb,  figure  de proue qui faisait autorité au sein des Frères Musulmans d’Égypte, dans les années 1950 et 1960. il prétendait que les Juifs avaient infiltré et corrompu l’Islam

 

“L’antisémitisme de la période de transition de l’après Moubarak et sous le Président Mohammed Morsi, s’exprime, dans une large mesure, par l’application répétée des mêmes poncifs antisémites contre Israël. On continue de représenter le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou en uniforme nazi et sous les traits d’Hitler, dans les médias égyptiens.

 

Une vidéo tournée dans une mosquée, en octobre 2012, montre le Président égyptien Mohammed Morsi qui dit "Amen" à la suite de prières faites par un imam appelant Allah à détruire les Juifs et leurs partisans.

 

“L’un des incidents les plus commentés est survenu en août 2012, où l’anti-israélisme et l’antisémitisme se sont avérés ouvertement  comme un mélange explosif, au cours d’une émission de la TV égyptienne, analogue à la Caméra cachée. Ce spectacle avait invité l’acteur populaire Ayman Kandeel, en lui faisant croire qu’il allait apparaître à la télévision allemande. Alors que l’émission se déroulait en direct, la présentatrice égyptienne a voulu faire de l’humour en prétendant qu’elle était une journaliste israélienne qui l’interviewait pour la télé israélienne. L’acteur l’a alors plaquée contre le mur en lui cognant dessus, l’a giflée et l’a insultée en la traitant de tous les noms. L’actrice Al-Beblawi, à qui on a fait la même farce, a lancé à la cantonade : « Allah n’a pas maudit les vers et les mites autant qu’il maudit les Juifs -1-”.

 

Mazel conclut : “Ce mélange d’antisémitisme et d’anti-israélisme fait désormais partie intégrante de la psyché égyptienne. Les Juifs et l’État juif sont perçus comme les ennemis de l’Égypte, bien que la paix se maintienne entre Israël et l’Égypte. L’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans, dont l’idéologie repose sur la haine des Juifs, a rendu cette situation plus grave encore  et elle suffirait, à elle seule, à  remettre en cause la paix précaire entre les deux pays ».

 

Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.