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Durant l’été 1942, une mission de la Croix-Rouge internationale (CRI), dirigée par le docteur Wyss-Denant, a visité les camps de Boudnib, Berguent et Bou Arfa. Les rapports décrivent avec précision les conditions de vie et de travail, l’hygiène, la nourriture, le traitement réservé aux ‘’résidents’’ (Jamaâ Baïda, Université de Rabat).
En tout, il y avait dans le protectorat français du Maroc, 14 camps de natures diverses regroupant 4000 hommes, dont un tiers de Juifs de nationalités variées. Tous étaient des camps d’hommes sauf celui de Sidi Al Ayachi, où il y avait des femmes et même des enfants. Certains camps étaient des centres de séjour surveillé, autrement dit de vraies prisons réservées aux opposants politiques du régime de Vichy. D’autres étaient dits de ‘’transit’’, destinés aux réfugiés. D’autres encore étaient exclusivement réservés aux travailleurs étrangers. Ou aux juifs.
A Bou Arfa, le camp était sous l’autorité de la compagnie de chemin de fer Méditerranée-Niger, appelée communément Mer-Niger (ou Merniger). Longtemps en suspens, ce vieux projet colonial fut repris en 1941 pour assurer l’approvisionnement de marchandises jusqu’à la métropole. Sous Vichy, le Transsaharien devenait un enjeu majeur de la collaboration avec le IIIème Reich. Un besoin conséquent de main-d’œuvre était donc nécessaire.
Des milliers de républicains espagnols qui fuyaient la répression franquiste y furent employés en groupements des travailleurs étrangers (GTE) chargés de la construction et de l’entretien des voies ferrées. Le rythme de travail, brutal et inhumain, car il fallait accélérer la cadence, transforma ces travailleurs espagnols (694 sur 818, rapport CRI, juillet 1942) en véritables forçats. Des déportés juifs d’Europe centrale et des communistes français y furent transférés. Le quotidien y était épouvantable. Beaucoup sont morts de mauvais traitements, de torture, de maladie, de faim ou de soif, de piqûres de scorpions ou de serpents.
A Berguent (Aïn Beni Mathar), le camp dépendait du Département de la production industrielle. Il était exclusivement réservé aux Juifs (155 en juillet 1942, puis 400 début 1943, rapport CRI). Trois rabbins algériens y assuraient les offices religieux. « Mais ce réconfort spirituel ne réduisit en rien le fait que le camp de Berguent était entre tous le plus ignoble » (Jamaâ Baïda). La demande de sa fermeture par la Croix-Rouge n’a pas été suivie d’effet.
Les Juifs qui s’y trouvaient, surtout originaires d’Europe centrale, s’étaient préalablement réfugiés en France. Engagés volontaires dans la Légion étrangère, ils furent démobilisés après la défaite de 1940 puis internés « par mesure administrative ». Ce fut le cas d’Albert Saul, citoyen turc arrivé en France en 1922 avec sa famille, prisonnier à Berguent d’où il n’est libéré qu’en mars 1943. Dans son journal, il raconte … « 10 février (1941) : Cassé des cailloux toute la journée. … 2 mars : transféré au 5e groupe avec des juifs allemands. Je ne m’y plais pas du tout. Le travail n’est pas le même ; il faut faire du ballast… 6 avril : Je n’en peux plus de cette vie, on travaille trop et on se fait engueuler. J’ai la fièvre, mal aux dents… 22 septembre : Rosch Hachana : personne n’a voulu travailler… 1er octobre : Pas mangé…»
Dans une pétition écrite par les prisonniers eux-mêmes, on apprend que les malades étaient isolés sans être soignés, que les punitions étaient sévères et injustifiées, que les surveillants, dont beaucoup étaient allemands, se comportaient de manière tyrannique, hostile et malveillante. « Ils auraient mieux figuré dans la fameuse SS nazie ». Certains prisonniers ont réussi à s’évader, à rejoindre Casablanca puis les forces alliées… Lire la suite.