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Les nouvelles négociations de Genève qui s’ouvrent le 22 novembre 2013 sont qualifiées par la presse officielle de Téhéran d’«évènement historique». À Jérusalem, le président Hollande y voit deux objectifs : tout d’abord, « instaurer la paix dans la région », et ensuite lutter contre la prolifération nucléaire. Israël, au nom de sa survie même, veut s’opposer à un accord qui serait « mauvais et dangereux », s’il se bornait à une levée du régime des sanctions contre un contrôle plus ou moins efficace des capacités nucléaires iraniennes. Enfin le président américain Barack Obama et son représentant diplomatique John Kerry déclarent avoir fait en réalité « un choix stratégique » préférant une « solution pacifique » à « une marche en avant vers la guerre » et une nouvelle aventure militaire des États-Unis au Moyen-Orient. Le chef de la diplomatie américaine affirmait avant « la pause temporaire » des négociations préliminaires de Genève : « Nous étions très, très près, vraiment extrêmement prés » d’une conclusion.
Un accord global
Au-delà de la guerre de communication et d’intimidation, en quoi consisterait donc l’accord global?
En réalité, l’enjeu pour l’Europe et pour les États-Unis est de parvenir à un bouleversement des alliances dans la région en permettant à l’Iran de basculer vers l’Occident. Puissance dominante régionale, l’Iran du président Rohani formerait un bouclier face au bloc sunnite islamique unifié mené par l’Arabie Saoudite et les États du Golfe, et accessoirement par la Turquie. Ce bloc est accusé d’avoir déstabilisé les pays ayant bénéficié des « printemps arabes », en leur imposant les forces rétrogrades des Frères musulmans et de leurs affidés salafistes.
Ainsi, le véritable objectif serait, pour les États-Unis et l’Europe d’offrir à l’Iran une reconnaissance de puissance régionale de plein droit, avec un statut d’ « État du seuil » en matière nucléaire. La transformation de l’Iran en un « État du seuil » voudrait dire que celui-ci dispose de capacités scientifiques, techniques et industrielles pour franchir l’étape vers la possession de l’arme nucléaire, mais qu’il serait empêché de faire le dernier pas décisif. Ces conditions avaient été précisées lors des négociations d’Almaty (Kazakhstan, 26 février 2013) qui avaient prévu:
-le gel de l’enrichissement de l’uranium à des niveaux proches de la militarisation, et le transfert des stocks disponibles vers l’étranger ;
- le gel du nombre de centrifugeuses d’enrichissement ;
- le renforcement du régime d’inspection de toutes les installations nucléaires par l’ouverture aux inspecteurs de l’AIEA de tous les sites, y compris pour des inspections inopinées.
L’Occident voulait obtenir le démantèlement quasi total de l’arsenal chimique syrien, il l’a politiquement et techniquement obtenu en un temps très court. Il désire à présent mettre sous contrôle la production d’uranium enrichi de l’Iran, ce qui est techniquement faisable dans des délais aussi courts, tout en laissant à son opinion publique le sentiment qu’elle possède une énergie nucléaire pacifique, ce qui est loin d’être le cas, à moins que des pays comme la France lui vendent des centrales électriques nucléaires, ce dont elle est incapable de se doter. Mais en aura-t-elle vraiment besoin ?
S’agit-il d’un pari absurde et risqué ou d’une stratégie « gagnant-gagnant » ?
L’Iran des Ayatollahs et même du Shah espérait parvenir à une hégémonie régionale, y compris face à l’Irak, en devenant le premier pays musulman de la région en possession de l’arme atomique.
Il s’agit aujourd’hui pour l’Occident de faire échec à ce moyen belliqueux dont voudrait se doter Téhéran, tout en concédant que ce pays peut devenir une puissance stabilisatrice, et non hégémonique dans la région.
Téhéran laisse accroire, dans un premier temps, que son objectif est de desserrer un étranglement économique provoqué par les embargos. Cela n’est vrai qu’en partie, les Iraniens jouant les victimes humanitaires.
Les atouts dans la manche des négociateurs iraniens sont multiples et solides : le soutien de deux grandes puissances internationales, la Russie et la Chine ; l’utilisation de la Syrie de Bachar el Assad et du Hezbollah, la promesse d’ouverture des robinets du pétrole et de ses marchés aux entreprises occidentales.
Téhéran sait que le monde arabo-musulman sunnite pèse bien moins depuis qu’il est divisé et déstabilisé intérieurement.
Termes du marché
Qu’est-ce que l’Occident pourrait obtenir en retour d’un Iran, puissance régionale ?
-En premier lieu qu’il devienne une puissance stabilisatrice dans la région, grâce à ses capacités économiques et pétrolières, mais sans s’imposer par sa force nucléaire ;
-Qu’Israël ne soit pas sacrifié à l’hégémonie iranienne ;
-Que le pétrole et les marchés iraniens soient ouverts à l’économie occidentale. Les grandes entreprises françaises y sont intéressées, face à leurs concurrents américains par exemple ;
- Que Téhéran prenne l’engagement d’être un leader régional modérateur des conflits locaux, en particulier qu’il abandonne le régime Assad et renvoie le Hezbollah dans une vie politique libanaise apaisée.
Des précédents
Depuis l’élection de Rohani à la présidence iranienne, le 14 juin 2013, la diplomatie de Téhéran a donné de nombreux signes attestant qu’elle souhaitait un rapprochement avec les États-Unis et plus généralement avec l’Occident. Elle argue de précédents historiques :
- En 1972, le rapprochement entre la Chine et les États-Unis, qui a abouti à la rencontre Mao/Nixon préparée par Kissinger ;
-Dans les années 1980, le rapprochement entre l’URSS et les USA favorisé par Gorbatchev et Reagan ;
-La Corée du Nord qui, tout en multipliant les rodomontades nucléaires, tisse des liens économiques avec sa « sœur » du sud.
Reste que dans ce dispositif impliquant l’Iran, deux puissances multiplieront les chausse-trappes : La Russie de Poutine qui, tout en affirmant une vocation asiatique, ambitionne de mettre un pied en méditerranée ; la Chine communiste, en passe de devenir la première puissance économique mondiale, qui achète le pétrole iranien dont elle a besoin.
L’Europe, particulièrement la France et l’Allemagne, ainsi que les Etats-Unis, en passe de se libérer de la dépendance pétrolière moyen-orientale, pourraient ainsi trouver au Proche-Orient - avec l’appui de l’État "Start up" d’Israël- un champ d’expansion pour le redémarrage de leurs économies.