Tribune
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Publié le 3 Septembre 2012

L’Iran défie la communauté internationale : le dernier rapport de AIEA mis en perspective

Par Bruno Tertrais

 

Le rapport de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) du 30 août confirme que l’Iran n’a nullement l’intention de céder aux exigences des Nations Unies (ONU) au sujet de son programme nucléaire. [1] Loin d’être suspendues, ses activités d’enrichissement nucléaire ont accéléré. Ce n’est pas un bon signe pour ceux qui espèrent pour une solution pacifique du problème et travaillent en ce sens. Ce nouveau rapport de l’AIEA n’apporte aucune révélation majeure, mais il est capital de mettre en perspective.

Le rapport affirme que, depuis mai, Téhéran a augmenté sa production totale d’uranium enrichi à 20% de 145,6 à 189,4 kilos. En particulier, la quantité de matière produite sur le site profondément enterré de Fordo, près de Qom, a pratiquement doublé (de 35,5 à 65,3 kilos). Le rapport suggère que l’installation de Fordo est pratiquement terminée, puisque 12 des 16 cascades de centrifugeuses sont désormais installées. Téhéran se rapproche ainsi de plus en plus d’une option de « percée » (être capable d’enrichir rapidement cet uranium à 90% pour obtenir suffisamment de matière fissile pour une bombe). Ceci signifie que bientôt l’Iran aura assez d’uranium à 20% pour une bombe, et sera capable de le convertir en uranium hautement enrichi en quelques semaines seulement.

 

Le rapport vient à la suite d’un effort renouvelé, mais vain par l’Agence de résoudre les questions en suspens sur les activités nucléaires de l’Iran directement liées à l’armée : les expériences, études et essais qui sont nécessaires à la construction d’un dispositif nucléaire, dont l’Agence a méticuleusement accumulé les preuves, par ses propres moyens et grâce aux renseignements fournis par des Etats membres, tout au long de la dernière décennie. Cet effort consiste en une série de réunions techniques discrètes lors desquelles les inspecteurs et le personnel de l’AIEA ont sincèrement, et de manière respectueuse, essayé de faire la lumière sur les activités iraniennes passées et éventuellement présentes. L’objectif était de se mettre d’accord sur ce que l’Agence a appelé une « approche structurée » visant à la transparence sur le programme iranien. Malheureusement, l’Iran refuse toujours de leur donner accès aux installations soupçonnées, ou aux experts et à la documentation adéquats. Un cas exemplaire est celui de Parchin, un site largement suspecté d’avoir abrité ses activités liées à l’armée. L’Iran refuse encore l’accès à ce site et n’a cessé de le nettoyer depuis janvier, comme le montrent les images satellitaires (qui montrent également de possibles nouvelles activités suspectes). [2] Le 24 août, une autre rencontre entre l’Iran et l’AIEA a échoué.

 

Il arrive également à un moment où le processus diplomatique à proprement parler est totalement gelé. En avril 2012, quand l’Iran et les « P5+1 » se sont réunis pour la première fois en plus d’un an, à Istanbul, il y avait un espoir que Téhéran soit plus ouvert en raison de l’effet des sanctions. Lors de cette rencontre, l’Iran avait accepté de discuter du problème nucléaire sans condition préalable, chose qu’il n’avait pas été prêt à faire en 2011. Malheureusement, les rencontres suivantes à Bagdad et Moscou ont prouvé que les intentions iraniennes étaient simplement de parler, et non de faire des gestes concrets. Si Téhéran avait réellement cherché à prouver ses intentions pacifiques, pourquoi n’a-t-il pas proposé des gestes unilatéraux comme le gel de l’enrichissement à 20% ? La pression sur les P5+1 pour qu’ils rendent la pareille en suspendant une partie des sanctions aurait alors été immense. Malheureusement, l’Iran n’a fait aucun geste significatif de bonne volonté.

 

La plupart des gouvernements occidentaux pensent que le dirigeant suprême n’a pas encore pris la décision finale de construire une véritable arme nucléaire (bien qu’ils aient des preuves que les études de militarisation ont reprises ou même jamais cessé). Mais, étant donné que l’accélération par l’Iran de ses activités d’enrichissement d’uranium s’est passée dans un contexte de regain d’obstructionnisme et de faux fuyants en Iran, cela ne peut pas être un bon signe.

 

Téhéran pense peut-être que le temps joue pour eux, et que les pays occidentaux, ainsi que ceux qui partagent leur approche, se fatigueront, affaiblis par la crise économique et financière. L’Iran pense peut-être que l’Amérique n’aura pas le courage de lancer une nouvelle opération militaire majeure risquée et dangereuse au Moyen-Orient. Certains pensent peut-être à Téhéran qu’un raid israélien serait un bonus pour la légitimité du régime. Peut-être envisagent-ils que le régime syrien, leur meilleur allié, survivra. Les dirigeants iraniens peuvent se tromper sur tous ces points, mais c’est peut-être ce qu’ils croient.

 

De plus, Téhéran estime peut-être que l’Iran peut mobiliser davantage de soutien international en faveur de sa cause. La ville a accueilli avec succès le sommet du Mouvement des Non Alignés à la fin août - une occasion de stigmatiser Israël et de soutenir « l’élimination d’armes nucléaires »- sommet au cours duquel a eu lieu la première visite d’un président égyptien depuis la Révolution.

 

Les sanctions restent capitales, car elles sont l’option la moins mauvaise. Mais, comme nous l’avons déjà écrit, elles ne peuvent être efficaces que sur la durée, et doivent être appliquées avec efficacité. Ce n’est pas toujours le cas. Nous savons maintenant que quelques banques européennes, par exemple, ne l’ont pas fait. Tous ceux qui pensent qu’une prolifération nucléaire accrue au Moyen-Orient ne ferait que rendre la région plus instable et dangereuse devraient continuer à agir pour s’assurer que les sanctions de l’ONU soient appliquées par tous les Etats membres, et que toutes les autres sanctions (financières en particulier) soient durcies selon les besoins. Pour contribuer à cet objectif, étant donné la provocation continuelle de l’Iran, le Conseil des Gouverneurs de l’AIEA, qui doit se réunir le 12 septembre, devrait renvoyer une fois de plus l’Iran devant le Conseil de Sécurité de l’ONU.

 

Notes:

[1] International Atomic Energy Agency, Implementation of the NPT Safeguards Agreement and relevant provisions of Security Council resolutions in the Islamic Republic of Iran, GOV/2012/37, 30 August 2012.

 

[2] See David Albright & David Avagyan, “New Phase of Suspect Activity at Parchin”, Institute for Science and International Security, 24 August 2012.