Tribune
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Publié le 27 Novembre 2013

L’Iran reste la principale menace au Proche-Orient

Charles Saint-Prot

LE CERCLE. Au terme de longues négociations sur le programme nucléaire de Téhéran, les cinq membres permanents du conseil de sécurité plus l’Allemagne, d’une part, et l’Iran, d’autre part, sont parvenus à un accord sur le nucléaire iranien au petit matin du 24 novembre à Genève. Pourquoi faut-il que tout cela laisse un goût amer ?

Les sourires béats, les embrassades des diplomates et les commentaires euphoriques des médias faisaient irrésistiblement penser à un certain 30 septembre 1938 où l’on avait feint de sauver la paix en reculant devant un dictateur chantre de la volonté de puissance de l’Allemagne. Il y a quelques mois à peine, on ne parlait que du danger d’une politique iranienne hégémonique, développant ses tentacules du Golfe arabe au Liban, alliée à l’État de barbarie du régime syrien. Tout est désormais oublié.

Après une pirouette autour du contrôle des armes chimiques du régime syrien – qui peut donc continuer à martyriser son peuple avec tout autre armement –, la négociation sur le nucléaire iranien se termine par une victoire de fait du régime des mollahs. Téhéran a obtenu ce pourquoi le régime a fait élire le prétendu modéré Hassan Rohani, un répit et la levée de certaines sanctions qui va lui apporter le ballon d’oxygène dont il avait besoin en récupérant plusieurs milliards de dollars de revenus bloqués à l’étranger, liés au pétrole, aux produits pétrochimiques et à l’or.

Mais l’arrangement de Genève permet le maintien d'une partie du programme nucléaire de l’Iran et l’on connait assez la duplicité de cet État pour craindre que son sort soit celui d’un chiffon de papier. Le président iranien a d’ailleurs déclaré que les termes (ambigus) du texte, provisoire, de Genève permettent de reconnaitre "les droits nucléaires de l’Iran" en autorisant le pays à poursuivre l’enrichissement de l’uranium et que les activités d’enrichissement de Téhéran se poursuivraient comme auparavant. La question qui se pose tout naturellement est de savoir si l’Iran tiendra des engagements dont les signataires n’ont pas la même version.

Voilà donc un compromis qui semble bien lourd de menaces futures. Il l’est d’autant plus qu’un compromis n’est jamais qu’un accord entre deux parties qui décident de régler un différend en s’entendant aux dépens d’un tiers. Ici le tiers est le monde arabe, lâché en rase campagne par ses soi-disant amis états-uniens dans le dossier syrien et maintenant dans son pendant perse. Si à Damas, les autorités en place ont applaudi à l’accord de Genève qui est une bonne chose pour un allié iranien le tenant à bout de bras, notamment grâce aux milliers de miliciens pasdarans iraniens et leur branche libanaise du Hezbollah, l’ensemble des États de la nation arabe considère avec inquiétude les errements de la diplomatie d’Obama.

En effet, plus qu’Israël qui pourra toujours en fin de compte bénéficier du parapluie protecteur de Washington, c’est bien la nation arabe qui est la cible de l’Iran. En faisant quelques concessions sur son programme nucléaire, l’Iran ne cherche pas seulement à alléger les sanctions économiques, mais aussi à obtenir des contreparties en matière de politique régionale, c’est-à-dire une large liberté d’action pour ses ambitions hégémoniques contre la nation arabe. L’erreur des États-Unis et, plus généralement des Occidentaux, a été de faire porter toute l’attention sur l’affaire du nucléaire en ignorant les aspects géopolitiques du jeu iranien et les menaces qu’il fait courir à la stabilité régionale depuis la révolution de Khomeiny en 1979. Il convient de rappeler que c’est la parfaite perception de cette menace qui avait conduit Paris à apporter un soutien sans faille à l’Irak durant la guerre déclenchée, en septembre 1980, par les provocations du régime iranien.

Aujourd’hui, le résultat du compromis de Genève est une sorte de feu vert donné à la la détermination des mollahs à soutenir le régime d’Assad, à continuer l’instrumentalisation du Hezbollah comme État dans l’État au Liban, à perpétuer la colonisation d’une grande partie de l’Irak et à menacer les pays arabes du Golfe en excitant des groupes extrémistes religieux chiites et en encourageant des activités terroristes contre l’unité nationale de ces pays, à commencer par Bahreïn et la côte orientale de l’Arabie saoudite jusqu’au Yémen, et même à viser le Maghreb où pullulent les prédicateurs-agitateurs à la solde des mollahs iraniens.

L’inquiétude des Arabes est donc manifeste, car comme l’a déclaré Abdallah al-Askar, le président du conseil consultatif (choura) saoudien, les peuples de la région connaissent bien les ambitions iraniennes et "ils savent que l'Iran va interférer encore plus dans la politique de nombreux pays". Disant tout haut ce que tous les dirigeants arabes pensent tout bas, le président du parlement saoudien considère que le régime iranien "va avoir plus de liberté pour faire avancer un terrible agenda qui risque d’apporter encore plus de troubles et de chaos dans cette partie du monde".

Depuis plusieurs années, sans doute depuis la chute du Chah, qu’ils ont sottement précipitée, les États-Unis ne rêvent que de redevenir un partenaire privilégié de Téhéran et reprendre pied sur le marché iranien. La pantomime de Genève doit tout à un Barack Obama, maître dans l’art de faire prendre des vessies pour des lanternes, qui est tout simplement en train de réaliser la redistribution des cartes dans un nouveau Proche-Orient imaginé sous l’administration Bush. Une fois de plus le caractère brouillon et inconséquent de la diplomatie états-unienne risque d’ouvrir une nouvelle boite de Pandore.