Tribune
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Publié le 6 Juin 2014

La Belgique saura-t-elle combattre son antisémitisme ?

Par Jean-Pierre Stroobants publié dans le Monde le 5 juin 2014

Ses responsables ne le désiraient pas, mais le Musée juif de Belgique, lorsqu’il rouvrira ses portes à une date encore indéterminée, sera surveillé en permanence par des policiers. Le tireur qui, samedi 24 mai, a fait irruption dans le bâtiment de la rue des Minimes, à Bruxelles, aura donc enlevé quatre vies et un rêve. Celui de faire de ce lieu un espace ouvert et convivial, un carrefour des cultures et des civilisations. 

« C’était la seule institution juive du pays qui avait refusé de se transformer en blockhaus », a relevé l’historien Elie Barnavi, qui a vécu à Bruxelles. On y entrait, c’est vrai, en toute décontraction, espérant que cette absence de surveillance, si rare, puisse perdurer. Hélas…

Dans un hommage aux victimes, organisé lundi 2 juin, Philippe Blondin, le Président du musée, a dit son souhait de poursuivre ses activités « avec encore plus de détermination et d’enthousiasme ». Mais le cœur y était-il vraiment alors que, soulignait-il, « le visage hideux de la terreur » s’était montré dans cette capitale de l’Europe, devenue symboliquement celle où, pour la première fois sur le continent, un musée a été ciblé par un acte terroriste ? Avant cela, seul le Mémorial de la Shoah de Washington avait connu une attaque armée.

M. Blondin a prié les juges d’instruction de l’autoriser à rouvrir au plus vite les portes de son institution. Comme un défi au terroriste et à ceux qui ont créé, sur Facebook, un site de soutien à son action. Comme un encouragement aux convictions de certains, convaincus que la haine ne gagnera pas si des femmes arabes voilées continuent, comme elles l’ont fait, de venir dire leur compassion devant les portes closes du musée. Ou si les commerçants marocains de la rue de Stalingrad – où était précédemment logée l’institution – se réunissent pour témoigner de leur soutien à la communauté juive, comme ils l’ont fait eux aussi.

L'antisémitisme se banalise

L’attentat de Bruxelles réveillera-t-il la Belgique, où, comme ailleurs, l’antisémitisme est devenu dangereux parce qu’il se banalise ? Ce royaume peu porté sur les grands débats étouffera-t-il au contraire toutes les questions mises en évidence au cours des dernières semaines ?

Car elles sont nombreuses. Une enquête officielle de l’Union européenne, parue en novembre 2013, affirme ainsi que 40 % des juifs de Belgique avaient envisagé de quitter le pays, lors des cinq années précédentes. « Soyons prudents, les questions étaient posées via Internet », nuance Maurice Sosnowski, Président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Plus inquiétante, relève-t-il, « une enquête très sérieuse de la Vrije Universiteit Brussel indiquant que 50 % des musulmans et 38 % des chrétiens de Belgique se disent antisémites… »

Dans certaines cours de récréation, « sioniste » est devenu une insulte. Dans certaines classes, des gamins s’énervent sur leur stylo qui ne fonctionne pas en le traitant de « juif » Pour se protéger de cet antisémitisme, « beaucoup de familles de notre communauté en viennent à placer leurs enfants dans des écoles juives, non pas par conviction, mais par souci de sécurité », affirme M. Sosnowski, lui-même pur produit de l’école publique.

Autre exemple : après une récente conférence de presse sur la question de la protection des bâtiments juifs et de son coût, des commentaires ont fleuri sur le thème des « juifs qui demandent encore de l’argent ». Et lorsque M. Sosnowski a, il y a quelques mois, voulu organiser une cérémonie commune afin de lancer une action en faveur d’enfants palestiniens atteints d’une maladie grave liée à la consanguinité, il s’est vu répondre par des représentants de la communauté musulmane que ce n’était « pas le moment »

Vents mauvais, vents favorables : lesquels aéreront, à l’avenir, le Musée juif de Belgique ?