Tribune
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Publié le 10 Janvier 2014

La bonne conscience a la mémoire borgne

Par Jacques Tarnero, Essayiste

 

Les antifas peuvent être contents, ils l'ont enfin leur nazi. Certes, il n'a ni la couleur ni le nom habituel que l'on prête aux nazis. Il y a trente ans il s'appelait Frederiksen et pas M'bala M'bala. Le premier avait la gueule de l'emploi. Le second servirait presque de démenti au racisme nazi. Soit: la mondialisation impose ses nouvelles règles de diversité y compris pour ses nazis : blancs, noirs, arabes, tous profitent de cette nouvelle donne post-moderne. Leur haine radicale contre le juif et Israël signe la constante de cette obsession. Dans un élan quasi unanime, tous les gens bien intentionnés dénoncent l'antijuif Dieudonné M’bala M’bala, mais toutes ces bonnes intentions portent un regard borgne sur celui qui fait la une des médias depuis deux semaines.

Monsieur M'bala M'bala n'est pas seulement antijuif, il est aussi antisioniste, il serait même d'abord et surtout antisioniste, puisque l'État d'Israël serait l'épicentre du mal qui ronge la planète terre. Ce centre possède des antennes qui commandent aux divers pouvoirs comme à autant de marionnettes entre ses mains. Le CRIF dirigerait la France et Israël commanderait au CRIF. Depuis que la police du Tsar avait inventé les Protocoles des Sages de Sion le scénario de la fable n'a guère varié qu'elle soit énoncée dans la version de l'Okhrana, du KGB, celle de la Gestapo ou de la SS, de Je suis partout ou celle des Frères musulmans, des GIA ou celle de Al Manar, la télévision du Hezbollah.

 

Qu'est-ce qu'être antisioniste sinon dénier à l'État d'Israël toute légitimité. Qu'est-ce que l'antisionisme sinon la contestation du droit d'Israël à exister en tant qu'État pour le peuple juif. Certains considèrent que le peuple juif n'existe pas, qu'il est une pure invention, un être artificiel, et que cette invention ne lui confère aucune légitimité pour prétendre avoir droit à un État. Critiquer la politique d'Israël, mettre en cause certaines pratiques ou certains projets de son gouvernement n'a rien à voir avec l'antisionisme développé par Soral, Dieudonné M’bala M’bala ou Ahmadinedjad sauf à considérer qu'une grande part de la population israélienne serait devenue favorable à son autodestruction. La confusion sémantique entretenue autour de ces mots est sans doute la source du grand malheur de la seconde moitié du XXe siècle.

 

Ce que nous révèle la lamentable affaire Dieudonné M’bala M’bala et son inquiétant succès c'est la perpétuation de cette haine recuite régulièrement depuis l'antiquité. Ne pas voir que derrière l'arbre antijuif Dieudonné M’bala M’bala se cache la moderne forêt antisioniste donne à l'antiracisme une vision borgne de la réalité. Bernanos disait d'Hitler qu'il avait "déshonoré l'antisémitisme". Dieudonné M’bala M’bala a-t-il "déshonoré l'antisionisme"? La question mérite d'être posée tant l'antisionisme fait figure de pensée progressiste pour bien des gens animés des meilleures intentions dont nous savons, par ailleurs, que l'enfer en est pavé.

 

Depuis 1967, avec des évolutions sinueuses, Israël s'est installé au milieu du panthéon des figures démoniaques. Sa victoire contre les armées arabes a fait de l'État juif un objet majeur de l'exécration progressiste. Le fascisme, le colonialisme avaient besoin de figures de substitution. L'imaginaire de la guerre d'Algérie, sa longue absence dans la mémoire nationale, imposait d'inventer une incarnation répulsive dérivée pour les forfaits commis par le général Ausaresses. Pour la jeunesse née après guerre, n'ayant ni résisté, ni porté de valises les figures de Dayan puis surtout de Sharon devenaient le masque de Hitler. Il faut dire que la scène avait déjà été jouée quand en mai 68 on affubla De Gaulle du même masque. L'analphabétisme, la bêtise autant que le fascisme se nourrissent de ces confusions, de ces glissements, des ces outrances dans la caricature, les même qui font rire aux éclats le public de Dieudonné M’bala M’bala… Lire la suite.