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Le dilemme n'est pas nouveau. La Centrafrique est le cauchemar récurent de la France depuis trente-cinq ans, depuis que les bérets rouges ont signé la fin de partie pour l'ubuesque empire de Bokassa. Depuis, au gré des soubresauts de ce pays enclavé, Paris a presque toujours fini par envoyer, certes à contrecœur, ses troupes calmer le jeu en quelques jours. Vite, discrètement, et sans trop de conséquences.
Mais cette fois-ci, la crise que traverse le pays est beaucoup plus sérieuse. Rien ne pourra être fait sans d'ambitieux moyens. Le 24 mars dernier, la Séléka, une coalition mal assemblée de plusieurs rébellions du nord du pays, a balayé le pouvoir vermoulu du président François Bozizé. Les vainqueurs se sont vite révélés ne pas être de traditionnels rebelles africains. Composée, selon l'Union africaine, à 80 % de mercenaires tchadiens ou soudanais, la Séléka n'entend pas être un nouveau gouvernement. Elle n'est qu'une force de pillage, un pillage gigantesque à l'échelle d'un pays. Dans un récent rapport, Human Rights Watch souligne que presque rien de ce qui ressemblait à une administration, une entreprise, un hôpital ou un couvent n'a échappé à la razzia. Les rares fonctionnaires ont fui, les cadres avec eux.
Désormais, pour la Centrafrique, le terme d'«État failli» paraît même un peu terne. Laurent Fabius a préféré employer celui de «non-État». Il est vrai qu'il n'y a plus grand-chose qui ressemble à un pouvoir central dans le pays. Michel Djotodia, l'ex-chef de la Séléka devenu président par intérim, voit le pays très largement échapper à son contrôle. Il lui faudrait, pour améliorer les choses, se débarrasser de «ses hommes». Mais ceux qui l'ont fait pourraient alors se rappeler à lui. Il n'a donc d'autres recours que de prier la communauté internationale de voler à son aide, la France en tête.
Mais aujourd'hui, Paris hésite. Dans ce dossier, on a sans doute tardé à se décider. En janvier, une intervention solide aurait sans doute permis d'éviter cette anarchie. Mais il est vrai qu'il est difficile de gérer deux crises à la fois. Le Mali occupait alors les esprits. Aujourd'hui, la Centrafrique cogne à la porte, et les options offertes sont plus maigres.
Pour François Hollande, qui a fait de la rupture avec la Françafrique la pierre angulaire de sa politique avec le continent, une seconde campagne de l'armée dans ses ex-colonies en moins d'un an pourrait troubler ses électeurs comme ses partenaires africains. Mais les risques nés d'un refus devant l'obstacle ne sont pas faibles. Ils sont de voir l'ancien Oubangui-Chari verser dans un bain de sang, avec son lot de civils massacrés, un drame qui éclabousserait Paris au nom de sa responsabilité historique ; de voir le pays devenir un trou noir au cœur du continent, asile rêvé pour les terroristes et rebelles de tous genres. Entre ces deux abîmes, la ligne de crête que représente une intervention internationale est très étroite.
Pour la France, elle prend les allures du contingent de l'Union africaine en Centrafrique, la Misca. Théoriquement composée de 3600 hommes, cette force n'en compte cependant pour l'heure que 2400. Et, comme toujours avec les forces armées africaines, la Misca souffre d'un manque de formation, de logistique et surtout de finances. Paris, qui entend jouer un rôle moteur, s'agite donc pour la soutenir et la rendre plus efficace. Non sans mal. La réunion consacrée à la Centrafrique, convoquée par la France en marge de l'Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre, n'a rencontré qu'un succès mitigé. Les fonds ne sont pas là. Quant à l'option d'obtenir un mandat de l'ONU pour monter une mission à Bangui, elle se heurte pour l'instant à l'indifférence américaine et à l'hostilité britannique. Or, si rien n'est encore perdu, le temps presse. Si la communauté internationale traîne encore, Paris devra sans doute se résoudre une fois encore à s'engager plus que souhaité dans le piège centrafricain.