Tribune
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Publié le 28 Janvier 2013

La guerre est finie, les combats continuent

 

Par Nicolas Truong

 

Tout le monde s'accorde à dire que la France est en "guerre" au Mali. Or, depuis quelques années, des philosophes contestent ce concept, et des chercheurs en stratégie militaire révisent cette notion même de "guerre" afin de caractériser, au plus près de leur spécificité, les conflits de notre postmodernité.

 

Alors, la guerre est-elle finie ? Vu l'ampleur et l'internationalisation du conflit, celle au Mali ne l'est sans doute pas. Mais peut-on, et surtout doit-on vraiment parler de "guerre", telle est la question qui se pose en théorie. Car, avant, tout était simple ou semblait l'être. La guerre, c'était, disait Alberico Gentili, un des fondateurs du droit public international à la fin du XVe siècle, "un conflit armé, public et juste". Un conflit entre deux armées, deux duchés, deux royaumes, deux États.

 

Une guerre de mouvement ou de positions, mais qui opposait deux forces inscrites sur un territoire donné, séparées par des frontières, divisées sur leurs intérêts à préserver, au nom de principes moraux (défense de sa patrie, de sa famille, etc.).

 

Les thèses modernistes du théoricien prussien Carl Von Clausewitz

 

Depuis les thèses modernistes du théoricien prussien Carl von Clausewitz (1780-1831), chacun s'accordait à dire que "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens". Or, nous disent des intellectuels aussi divers que Pierre Hassner, Frédéric Gros, Paul Virilio ou Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, nous n'avons plus affaire à des guerres entre États, mais à des déflagrations de violence, toujours imprévisibles, qui frappent des populations innocentes dans la panique et le chaos.

 

Le champ de la guerre s'est élargi : ce n'est plus un champ de bataille où mourir était acceptable, mais un état de terreur permanent. Qu'est-ce qu'une guerre sans face-à-face, sans victoire ni défaite, sans commencement ni fin ?

 

Un "état de violence", nous dit Frédéric Gros dans son livre États de violence. Essai sur la fin de la guerre (Gallimard, 2006). Car, si les guerres classiques n'ont pas cessé, elles ne sont plus les formes dominantes des grands conflits armés, mais elles se sont transformées en interventions militarisées, voire en opération de police mondialisée.

 

Depuis le massacre de Srebrenica (1995) ou l'intervention des forces de l'OTAN au Kosovo (1999), les "états de violence" ont pris le relais des guerres frontales et caractérisent nos nouvelles conflictualités.

 

Depuis les attentats du 11-Septembre, l'effroi des actions suicidaires concentrées sur des villes en panique a révolutionné les affaires militaires, renchérit l'"intellectuel de défense" Paul Virilio (Ville panique : Ailleurs commence ici, Galilée, 2004).

 

"De la guérilla à la guerre totale"

 

Selon le politologue Pierre Hassner, "la notion structurellement pertinente qui vient remplacer celle de la guerre en tant que poursuite de la politique par d'autres moyens n'est plus tant la dissuasion - comme pendant la guerre froide - mais bien plutôt l'intervention", écrit-il dans La Terreur et l'Empire. La violence et la paix II (Point, 2006).

 

"Mieux vaut s'abstenir de la définir, poursuit Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans La Guerre au nom de l'humanité. Tuer ou laisser mourir (PUF, 596 p., 29 €) : "La" guerre n'existe pas, il en existe plusieurs formes, de différentes intensités, de la guérilla à la guerre totale." D'ailleurs, le droit international a délaissé ce vocable, au profit de "conflit armé".

 

Comment expliquer que le terme demeure, alors qu'il ne recouvrirait plus la réalité ? Par le poids des mots sans doute. Montrer le président Hollande en "chef de guerre" qui salue les troupes fait penser aux grands combats de la France contre des nations ennemies, depuis au moins la bataille de Valmy.

 

Pour l'école "réaliste" ou "interventionniste", notamment incarnée par Bruno Tertrais, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, ou bien par François Heisbourg, conseiller spécial auprès du président de la Fondation pour la recherche stratégique, l'emploi du mot "guerre" est assumé.

 

La guerre est peut-être finie en théorie. Mais malheureusement, comme en attestent tous ces analystes de la géopolitique du chaos, la "fin de la guerre", ce n'est pas pour autant le début de la paix !