Tribune
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Publié le 20 Mars 2014

La haine antisémite sur le net

Tribune de Marc Knobel, Historien, Directeur des Études du CRIF, ancien rapporteur à la CNCDH, 13ème tribune publiée dans le hors série des Études du CRIF anniversaire des 70ans du CRIF.

Avec le Net, on peut mesurer combien nos sociétés sont malades. De fait, nous affirmons que le Net est un bon poste d’observation pour comprendre comment les extrémistes – tous les extrémistes, religieux et politiques – se servent de cet outil ; comment ils exploitent les peurs et l’ignorance ; comment ils prêchent la haine ; comment et pourquoi ils cherchent des boucs émissaires.

Les sites islamistes

Nombre d’écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les Juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-américaines et antisionistes viennent clore le tout. Elles sont si virulentes qu’elles ne doivent pas manquer d’échauffer les esprits de certains jeunes déjà perturbés, en quête d’identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc de cultures.

Bref, des sites fondamentalistes qualifient systématiquement l’ennemi, en appellent au djihad et encouragent les attentats terroristes.

En 2010, grâce à des spécialistes de l’islam radical, le journal Le Parisien a accédé à divers sites intégristes sur Internet. La mouvance islamiste utilise en effet, elle aussi, le « réseau des réseaux » et les sites qu’elle rassemble sont foisonnants et terriblement dangereux. Ces textes, parfois longs de plus de cinquante pages, sont traduits en français. Ainsi, sur un « forum islamique », l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, le numéro deux d’Al-Qaïda, répond longuement (mais pas en direct) à des questions d’internautes. L’un d’eux demande s’il faut « partir au combat ». « Oui, l’assure al-Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance. » Parmi des récits de « référence », on trouve aussi un « Message à la jeunesse » d’Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l’origine du premier djihad en Afghanistan. « Rien que le djihad et les armes. Pas de négociation, pas de discours, pas de dialogue », répète celui qui fut l’un des modèles de Ben Laden. « Allah nous prépare pour la victoire », affirme pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés, l’Américain d’origine yéménite Anwar al-Awlaki. Cet imam extrémiste de 38 ans a été abattu au Yémen fin 2009 : propagandiste djihadiste, il avait fait de la Toile son principal outil d’influence et passe pour avoir été le « conseiller spirituel » de trois des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 et, plus récemment, de Nidal Malik Hassan, un psychiatre de l’armée américaine qui a tué treize personnes en 2009 au Texas. Si, en apparence, la tonalité religieuse domine sur la plupart des sites radicaux, l’un d’entre eux est ouvertement guerrier. Dans son discours djihadiste, il prône de combattre « Juifs, croisés et sionistes ».

Mais l’ennemi est aussi « intérieur » : toute autre lecture de l’islam est rejetée, car définie comme « égarée » ou « déviante » (et ses responsables sont mis à l’index). Il s’en dégage une forte incitation à combattre à l’étranger, auprès des « frères » en Palestine ou en Afghanistan, mais aussi de lutter contre « les gouvernements arabes corrompus » (au Maghreb, en Arabie saoudite…).

Ces discours guerriers s’adressent également aux femmes, les « cavalières de l’islam » (combattantes tchétchènes ou palestiniennes). Un « cheikh martyr » détaille ainsi leur rôle « dans le combat contre l’ennemi », un rôle tout de « sacrifice » à l’époux et au fils. Un texte signé de l’épouse d’al-Zawahiri et adressé aux « sœurs musulmanes » vilipende « l’Occident impie qui ne veut pas que tu te pares de ton hijab, car cette pratique divulgue leur déclin et la bassesse de leurs mœurs », rapporte Le Parisien.

Les sites d’extrême droite

Les sites Internet d’extrême droite pullulent sur la Toile et s’illustrent par un antisémitisme outrancier. En quelques clics ou en recherchant des mots clés, on tombe assez facilement sur des blogs ou des sites affichant des contenus xénophobes. Les textes publiés répondent à une logique implacable. Ils s’adressent à des militants, des sympathisants ou des gens désillusionnés par la politique et le système, c’est évident. Il s’agit alors d’animer leur militantisme, de l’affirmer ou de l’encourager. Il s’agit aussi de briser des tabous. Ces sites ne sont pas de simples défouloirs. Ils poursuivent un objectif politique.

Dans Le Monde du 4 juillet 2011, il a été mené un très intéressant travail cartographique de l’ensemble de la blogosphère politique en 2011. Or, en 2007, la proportion de blogs se rattachant à la famille de l’extrême droite dans la blogosphère politique était évaluée à 4,4 %.

En 2009, elle était passée à 5,2 %. En 2011, elle s’élève à 12,5 %, soit 132 sites sur un total de 1 052. Internet est effectivement devenu l’un des terrains de jeu privilégiés des droites extrêmes. Celles-ci, nous dit Le Monde, ont très vite investi ce nouveau média pour en faire ce qu’elles appellent un « outil de réinformation » et contourner « la pensée unique ». Un autre site, transeuropeextremes.com, alimenté cette fois par les étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille, a répertorié pour la France 377 sites et blogs à tendance ultra-droite et les a classés par familles : les identitaires, la droite nationale, les traditionalistes, l’entourage du FN, les tendances réactionnaires. Bref, tous les courants de l’extrême droite y sont représentés, sans toutefois de véritable unité idéologique.

Or que trouve-t-on ? On peut identifier en premier lieu un courant « identitaire qui s’oppose au métissage » et se positionne violemment contre l’islam. Il a pour horizon une grande Europe des « patries charnelles », se résumant in fine à une Europe-continent blanc. D’autres sites représentent le courant « nationaliste révolutionnaire » (NR). Ils sont à la fois nationalistes, anticapitalistes et anticommunistes, anti-américains (par rejet du système libéral) et du « cosmopolitisme », et très violemment antisionistes et antisémites. Enfin, il y a des blogs et sites catholiques, qui ne sont pas très nombreux. Certains sont très influents à l’extrême droite, même s’ils ne partagent pas tous la même idéologie. Si le socle commun est d’être hostile à Vatican II, de faire profession d’homophobie et de s’opposer à l’avortement, à l’euthanasie et à la République, certains versent clairement dans un antisémitisme virulent.

Que faire ?

Aujourd’hui, l’un des débats majeurs sur la société de l’information est celui de la régulation de l’Internet, qui en est l’emblème. Une première approche, que nous qualifierons de libérale et/ou de libertaire, prône l’abstention de toute ingérence publique – et quelquefois même citoyenne – pour fixer la conduite à tenir sur le réseau des réseaux. Nous avons affaire là à un curieux mélange du vieil « il est interdit d’interdire » libertarien et du « laissez-faire » libéral.

Aussi, le réseau reste-t-il culturellement et idéologiquement purement américain. La loi qui le régit, du point de vue de la circulation de l’information est celle qui est inscrite dans la Constitution américaine ; le principe de liberté totale de communication. Qu’on s’entende bien : dans ce domaine, les choix des dirigeants et du peuple américain sont totalement légitimes et nul ne dénie aux États-Unis d’Amérique d’être une grande démocratie.

Mais une question est posée. Ce choix doit-il être le nôtre, en Europe ? Ce choix doit-il être celui de la planète entière ? Le réseau Internet est-il un réseau mondial américain ou un réseau potentiellement universel ? Et puis, il faut le redire : en France, le racisme est un délit, il n’est pas une opinion. Et cette différence est de taille.

Une seconde approche, plus citoyenne, cherche à réguler le Net afin d’exclure ou de limiter les discours de haine. Il s’agit d’adapter notre droit tout en rappelant au passage quelques-uns des principes qui fondent les sociétés démocratiques.

À cela, nous voyons trois arguments :

Le premier est un argument moral. Le principe de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est essentiel. Maintenir ce principe est un gage pour l’avenir. Il est donc important de prendre la parole – haut et fort – pour dire le caractère insupportable de la présence de paroles et d’images racistes et antisémites sur l’Internet.

Le deuxième argument est un argument technique. Contrairement à ce que soutiennent certains acteurs du dossier, plus intéressés à garder une clientèle et faire de l’argent qu’à s’appliquer des règles éthiques, il est tout à fait possible sur le plan technique d’empêcher les internautes français et européens d’être exposés à des messages qui contreviennent gravement aux lois de nos pays.

Le troisième argument est politique. Il découle d’un principe simple : Internet est un média et doit être traité comme n’importe quel autre média.

Or, les lois de nombreux pays encadrent sous certains aspects les contenus médiatiques et protègent le public de toute exposition à des propos racistes ou antisémites.

Aussi est-il temps d’affirmer que le nécessaire respect de la liberté d’expression se heurte à la non moins nécessaire protection des personnes visées par les menaces et les violences racistes. Et qu’à l’instar du monde réel, le monde virtuel ne doit pas être le refuge des provocations qui bafouent constamment la nature humaine.

Qu’elles soient alimentées par le racisme ou une par idéologie radicale, la croissance et la propagation des groupes haineux ne montrent aucun signe d’essoufflement dans notre pays. Et cette haine est alimentée en grande partie par Internet, nouvelle plateforme de communication et de propagande idéologique, diffusant la haine, le mépris et l’horreur.