Tribune
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Publié le 18 Juillet 2013

La jeune Malala, héroïne à l'ONU, divise les siens

Par Frédéric Bobin

 

Le Pakistan a un problème avec Malala Yusafzai. Ou, plus précisément, il est divisé. L'adolescente de 16 ans, jeune Pachtoune de la vallée de Swat victime d'un attentat des talibans en octobre 2012 pour son action en faveur de l'éducation des filles, suscite sympathie et aversion dans son pays d'origine.

Mais ses partisans sont aussi discrets que ses adversaires s'expriment bruyamment. Les libéraux du Pakistan, qui existent, en conçoivent une profonde amertume. Et pareille dissonance n'arrange en rien l'image du Pakistan sur la scène internationale.

 

La brillante prestation de Malala Yusafzai devant l'Assemblée des jeunes des Nations unies à New York, vendredi 12 juillet, n'a fait qu'aiguiser le malaise. Les talibans "pensaient qu'une balle pourrait nous réduire au silence mais ils ont échoué", avait déclaré la jeune Pakistanaise à la tribune avant de se lancer dans un vibrant plaidoyer en faveur de l'éducation des enfants. L'assistance l'a ovationnée debout.

 

Chacun a pu discerner, sous son châle rose, les séquelles laissées par les deux balles qui ont manqué de la tuer à Mingora, le chef-lieu de Swat, région occupée deux ans durant par les talibans avant que l'armée pakistanaise ne les en déloge au printemps 2009. Durant cette parenthèse talibane, Malala Yusafzai avait tenu sur le site en ourdou (langue officielle du Pakistan) de la BBC son journal indigné de fille privée d'école. Les talibans ont voulu le lui faire payer.

 

Les hommages flatteurs ont fusé à travers le monde au lendemain de l'intervention à l'ONU d'une Malala à la convalescence combative. Mais, au Pakistan, l'humeur était tout autre. Sa page Facebook a aussitôt été bombardée de messages haineux la dégradant en "agente des Américains". Pourquoi n'a-t-elle donc pas dénoncé, interrogeaient ses contempteurs sur les réseaux sociaux, les victimes innocentes des attaques de drones américains dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan ?

 

Au mieux, elle est manipulée pour servir le funeste dessein de l'Occident contre les musulmans en général et le Pakistan nucléaire en particulier. Au pire, elle quête la gloire et l'argent. Telle est la teneur de bien des messages, nourris à la théorie du complot, qu'a inspirés son allocution onusienne dans son propre pays.

 

Echo fragile

 

Pour beaucoup de libéraux au Pakistan, c'en était trop. Ils ont donc contre-attaqué. Dans une tribune publiée mardi 16 juillet dans le quotidien Dawn, la romancière Bina Shah exprime sa colère. Ces réactions, écrit-elle, sont la "manifestation honteuse de la manière dont les Pakistanais tendent à se retourner contre les personnes dont ils devraient être fiers".

 

Sur son blog, un journaliste du même quotidien, Anwar Iqbal, appelle à "ne pas laisser tomber Malala". S'adressant à ses compatriotes, dont il sait qu'ils récusent en majorité l'idéologie et les méthodes des talibans, M. Iqbal les exhorte à sortir de leur passivité : "Vous êtes silencieux, mais vos ennemis ne le sont pas. Pouvez-vous vous lever en faveur de la fille la plus courageuse que nous ayons eue depuis des générations ?" L'"autre Pakistan" redonne de la voix, mais son écho reste fragile.