Tribune
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Publié le 11 Juillet 2012

La présidence normale et la rafle du Vél d'Hiv

Par Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles des juifs déportés de France

 

Le 16 juillet 1942, jour de la rafle du Vél'd'Hiv, François Mitterrand avait 25 ans ; il était à Vichy, hésitant encore entre Pétain et Laval avant de s'engager dans la Résistance quelques mois plus tard. Jacques Chirac avait 9 ans ; il était écolier ; il voyait la ferveur populaire qui entourait le Maréchal, partisan de la collaboration, alors qu'à Londres un autre militaire incarnait lui aussi la France, mais la France libre. Nicolas Sarkozy naîtra en 1955 et François Hollande en 1954.

Quatre présidents, trois générations. Chacun d'eux a exprimé son opinion sur le sort des juifs de France pendant la Shoah et sur la nature de la complicité française dans les crimes contre l'humanité subis par des dizaines de milliers de juifs ; en particulier la rafle du Vél'd'Hiv voulue par les Allemands, opérée par la police parisienne aux ordres du préfet de police, qui, sans le feu vert du gouvernement de Vichy donné le 15 juillet 1942 par Bousquet, secrétaire général à la police, n'aurait pas obéi aux Allemands.

 

Résultats : quatre mille enfants livrés à l'ogre nazi et déportés sans leurs parents déportés avant eux. Puis la grande rafle des juifs considérés comme apatrides, arrêtés par les forces de police de Bousquet en zone libre et livrés à la Gestapo en zone occupée ; seuls juifs au monde à aboutir aux chambres à gaz de Birkenau en provenance d'un territoire où il n'y avait pas d'Allemands.

 

Tous les présidents ont trouvé les mots pour souligner la souffrance des victimes et pour stigmatiser la volonté génocidaire du IIIe Reich ; mais pour désigner le coupable du côté français, les réponses ont été différentes.

 

Pour François Mitterrand, comme pour ses prédécesseurs, il s'est agi de "l'autorité de fait dite gouvernement de l'Etat Français". Pour M. Mitterrand, la République n'était pas en cause puisque l'Etat Français s'était substitué à elle, et il avait raison. Mais pour lui, comme pour ses prédécesseurs, la France non plus n'était pas en cause puisque, selon la doctrine élaborée par René Cassin, il n'y avait eu qu'une seule France légitime : celle de la France Libre, celle du Comité de Libération nationale, celle du général de Gaulle.

 

Le discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995, a marqué une profonde rupture : "Ce jour-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, accomplissait l'irréparable", a-t-il déclaré. Ces paroles ont été saluées dans le monde entier comme une courageuse et salutaire reconnaissance, celle de l'existence simultanée de deux France antagonistes entre 1940 et 1944 : la France de Pétain, celle de la soumission et des persécuteurs, et celle de De Gaulle, la France de la Résistance et des Justes.

 

De cette phrase découlent avec le soutien total des deux premiers ministres de M. Chirac, celui de centre droit, Alain Juppé, et celui de centre gauche, Lionel Jospin, la création de la commission Mattéoli et l'adoption de ses recommandations : une commission d'indemnisation des victimes de la spoliation, une puissante fondation pour la Mémoire de la Shoah et une pension à tous les orphelins de déportés juifs de France.

 

Nicolas Sarkozy n'a pas pris la parole au Vél'd'Hiv, mais il a déclaré : "Jacques Chirac a dit ce qu'il fallait dire et il n'y a rien à ajouter et rien à retrancher à son très beau discours." Son premier ministre, François Fillon, a prononcé un remarquable discours au Vél'd'Hiv, en juillet 2007, et a repris la phrase historique de Chirac.

 

Le 22 juillet 2012, François Hollande prendra à son tour la parole au Vél'd'Hiv. En ce lieu emblématique, confirmera-t-il la vision de Chirac, lui qui est de la génération de Sarkozy et Fillon, ou fera-t-il un retour vers le passé du temps de François Mitterrand et du seul "Etat français" ? Nous, vieux enfants juifs qui avons vécu la Shoah et qui avons connu les Justes, nous avons confiance dans les gens normaux. Les Justes étaient des gens normaux qui accomplissaient des actes exceptionnels.