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Que 14 millions d'Égyptiens (sur 83) aient manifesté dans la rue, la semaine dernière, contre le régime islamiste des Frères musulmans, cela semblait incongru aux yeux des meilleurs observateurs. Comme si les peuples arabes étaient condamnés à l'islam le plus absurde et le plus rigide. Comme s'ils n'avaient pas le droit de sortir des clous que leur indiquent leurs agents de la circulation islamique.
Arabe = musulman, tel est le credo. Parlant de musulmans au lieu d'Arabes, un ancien président de la République avait commis un lapsus révélateur de ce dogme qui recouvre tout notre spectre politique : par définition, l'Arabe serait musulman, pas modéré mais islamiste, tendance bigot, pour ne pas dire arriéré ; il ne serait donc pas fait pour le XXIe siècle. C'est cette caricature humiliante qu'ont brisée les millions d'Égyptiens épris de liberté : en défilant massivement, ils ont précipité la chute du régime de Mohamed Morsi.
Devant cette marée humaine qui a submergé l'Égypte, peut-être l'une des plus grandes de l'histoire de notre espèce, les beaux esprits semblaient aussi stupéfaits que désarçonnés : cette rébellion (Tamarod) n'entrant pas dans leurs grilles de lecture, ils la jugeaient dangereuse sans oser le dire vraiment jusqu'à ce que le coup d'État militaire finisse de gâcher la fête.
On nous annonce maintenant le chaos. Mais c'était déjà le chaos avant : gestionnaires ineptes, suicidaires et sectaires, Morsi et les Frères musulmans menaient le pays à sa perte. Ils verrouillaient, ils verrouillaient, c'était à peu près tout ce qu'ils savaient faire. Au lieu de mettre en place un État de droit en nouant des alliances, ils le confisquaient à leur profit et installaient partout leurs pions, selon des méthodes qui rappelaient celles des mollahs d'Iran au temps de Khomeyni. Sans oublier de favoriser en sous-main la persécution des minorités religieuses qui, comme celle des Coptes, étaient poussées à l'exil, selon la tradition de "la valise ou le cercueil".
Rongés par leur puritanisme comme par des puces, les Frères musulmans ne songeaient qu'à islamiser la société qui fonctionnait cul par-dessus tête avec des queues énormes devant les stations-service, une multiplication par trois du nombre de meurtres en un an, un chômage qui frappait 40 % des moins de 24 ans ou une inflation qui galopait à 11 %. Inflation qui, soit dit en passant, serait, selon quelques benêts europhobes, la solution à tous les problèmes français : ils seraient bien inspirés d'étudier de près le cas d'école égyptien.
Quand les gouvernements oublient l'économie, elle se venge. C'est ce qui est arrivé à l'Égypte. Le tourisme est à cet égard exemplaire : même s'il représente 11 % du PIB et emploie directement 3 millions de personnes, le régime des Frères musulmans s'en souciait comme d'une guigne. Ainsi n'avait-il rien trouvé de mieux que de nommer, provocation suprême, un islamiste radical au poste de gouverneur de Louxor. En matière de tourisme, il est vrai que cet individu s'y connaissait : Gamaa al-Islamiya, son groupe armé, avait participé en 1997 au massacre de 58 touristes étrangers (et de 4 Égyptiens) au temple d'Hatchepsout, ce qui constituait en effet de sérieuses références. Qu'importe si les touristes du monde entier allaient en tirer les conséquences.
La gestion d'un pays est une chose trop importante pour être confiée à une confrérie de cagots. Encouragée par la population, l'armée égyptienne a donc destitué Mohamed Morsi avant la catastrophe. Que le piège islamiste se referme sur le pays ou qu'il plonge dans la guerre civile, cette catastrophe était écrite. Aujourd'hui, elle reste toujours possible : l'avenir est désormais entre les mains des militaires, qui vont écrire la suite de l'histoire.
Si, dans la rue, ils ont eu la main très lourde face aux partisans de Morsi, ils ont fait preuve, dans les antichambres, d'un certain doigté politique. Notamment en ménageant le parti salafiste Al-Nour, qui a soutenu le coup d'État avant d'exercer un droit de veto contre Mohamed el-Baradei, le Premier ministre qu'ils avaient choisi. Ils ont aussi promis des élections législatives au plus tard avant début 2014. Acceptons-en l'augure !