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« Le cas de la Syrie pourrait s'avérer être différent »
Par Avigdor Liberman
Le 13 mars 2012, Jerusalem Post
« Un changement radical du régime en Syrie n'est pas seulement un impératif moral, mais c'est aussi dans l'intérêt d'Israël ».
« Les événements en Syrie suscitent de nombreuses questions. Du point de vue d'Israël, la question immédiate concerne ses intérêts d'Israël au regard de la situation qui a émergé. Toutefois, l'assassinat de civils innocents perpétré de sang-froid par le régime syrien soulève des questions morales capitales auxquelles sont confrontés à la fois Israël et la communauté internationale.
Historiquement, c'est sans doute l'un d'une situation les plus graves que le peuple syrien ait jamais connue. Bien qu'il y ait eu crises et massacres par le passé, il n'y a jamais eu une telle vague aussi longue de meurtres systématiques et brutaux. Néanmoins, il faut rappeler que le peuple syrien a également connu des moments de grandeur. Quelques rappels historiques peuvent être pertinents.
Damas est l'une des villes les plus anciennes du monde et, avec Haleb (Alep), a servi de capitale pendant un siècle (661-760 CE) au califat des Omeyyades, qui s'étendait de l'Espagne aux confins de l'Asie centrale. L'idée d'une patrie syrienne ("Watan") a été conçue par un groupe d'intellectuels chrétiens arabes, dont le plus important, Boutros al-Boustani, est connu pour avoir au la vision d'une Syrie tolérante, où régnerait la confiance entre les communautés et l'unité culturelle.
Après le retrait de la France de Syrie en avril 1946, le pays a connu de nombreux bouleversements débouchant sur la version syrienne du parti Baas, incarnant une combinaison de panarabisme, de socialisme et d'influences islamiques uniques. Tandis que Hafez El-Assad a apporté une certaine stabilité dans le pays, il a été vivement critiqué par des notables et intellectuels syriens, l'un des principaux étant l'auteur et poète Nizar Qabbani.
Un intellectuel syrien à la révolte prémonitoire
Dans son poème «Balqis», du nom de sa seconde épouse tuée en Décembre 1981 dans un attentat suicide contre l'ambassade d'Irak à Beyrouth, il a blâmé l'ensemble du monde arabe pour sa mort. Sa vision perspicace et mordante des échecs du monde arabe s'est exprimée dans de nombreux poèmes controversés, y compris dans ce titre provocateur « Quand vont-ils annoncer la mort des Arabes » ?
L'héritage intellectuel et spirituel de ce poète syrien est d'une pertinence plus grande encore aujourd'hui qu'elle ne l'était au cours des dernières décennies, alors que nous assistons à un massacre des innocents par un tyran cruel, jour après jour, tandis que le monde arabe tout entier regarde passivement. Nous voyons d'innombrables sommets de la Ligue arabe, des délégations d' inspecteurs, une mer virtuelle de conversations et de déclarations, mais rien d'autre que des mots et encore des mots. Bref: tout cela n'est que « Qalam Fadi » - des discours vides-.
Qu'est- ce qui prime ? Les valeurs humanistes universelles ou les intérêts ?
Cette situation pose à Israël des questions difficiles à la fois pratiques et philosophiques : qu'est-ce prime? Les valeurs humanistes universelles ou les intérêts ? Pouvons-nous, en tant que Juifs, qui à travers l'histoire ont subi d'innombrables pogroms, persécutions, préjugés et la Shoah, nous contenter d'un rôle de spectateurs, surtout lorsque l'on sait que des considérations morales ont été un élément important qui a sous-tendu la création de l’État d'Israël? D'autre part, Israël, comme d'autres États, est lié par le principe universel de non-intervention dans les affaires intérieures d'autres États, qu'ils soient proches ou lointains.
Il y a ceux qui soutiennent, par exemple, qu'un affaiblissement de la Syrie, avec un dirigeant qui a perdu toute légitimité aux yeux du monde et qui est confronté à des sanctions internationales graves est préférable à une « nouvelle » Syrie, dirigée par les Frères musulmans et jouissant d'un large soutien arabe et international.
Le dilemme est difficile et lourd de conséquences pour notre avenir. Les événements dont nous avons été témoins au cours de cette dernière décennie, que ce soit en Irak, en Afghanistan, Libye, Tunisie, au Yémen ou en Égypte, représentent un phénomène entièrement nouveau et extrêmement complexe.
Comprendre les alternatives
Le principal défi est bien sûr d'identifier et de comprendre ce qui caractérise les possibles alternatives au régime actuel. Quelles sont les différentes composantes de l'opposition et ce qui se passera le lendemain du jour où le régime sera renversé? Nous avons vu que la communauté internationale est capable de mettre fin relativement rapidement à la férule d'un tyran comme Saddam Hussein. Il est beaucoup plus difficile de mettre en place une alternative éclairée qui puisse fonctionner et bénéficie du soutien de larges secteurs de la société.
À cet égard, il est important de rappeler que l'une des conditions essentielles pour que puisse émerger une démocratie stable et prospère est la présence d'une importante classe moyenne forte et qui ait réussi, quelque chose qui fait cruellement défaut dans la plupart des Etats arabes. Est-ce que la Syrie après Assad va dégénérer dans un conflit sectaire sanglant ? Ou allons-nous voir l'émergence d'un nouveau pays qui se livrera à une réelle introspection et aspirera à un avenir meilleur?
La Plateau du Golan : Israël a eu raison de ne pas céder aux pressions
La situation en Syrie pose également la question du Golan. À cet égard, une réflexion devrait s'imposer à ceux qui ont fait pression sur Israël par le passé pour qu'il y ait un accord avec Hafez et Bachar al-Assad et que le plateau du Golan soit transféré en échange pour un traité de paix. Que se passerait-il, aujourd'hui, si nous avions cédé à ces pressions ? Quelle légitimité aurait un tel traité ? Comment un tel traité serait-il vu par ceux qui ont manifesté en Syrie pour protester contre un régime tyrannique ?
En outre, la notion naïve et simpliste voulant que si le Golan avait été abandonné, la Syrie aurait pu être arrachée à l'axe Iran, Corée du Nord et Hezbollah, vole en éclats aujourd'hui face à une réalité qui montre qu'en réalité le régime d'Assad est un otage de l'Iran et du Hezbollah. Si Israël avait sacrifié le Golan, rien n'aurait été modifié, si ce n'est que le régime d'Assad aurait bénéficié d'un énorme avantage stratégique en raison de la topographie de la région, précisément comme cela était le cas avant 1967.
Ainsi, même dans le cas où une Syrie démocratique émergerait de la crise actuelle, le nouveau régime syrien devrait comprendre que toute option réaliste pour un règlement de paix devrait inclure la continuation d'un contrôle effectif d'Israël sur le Golan. Un tel régime démocratique pourrait trouver avec Israël une solution non-violente dans le règlement du différend, comme le font ailleurs des démocraties pour résoudre ou gérer ce type de conflit. Il y a le cas du Royaume-Uni dans ses différends territoriaux avec l'Espagne et l'Argentine au sujet de Gibraltar et des îles Falkland et règlement des différends du Japon avec la Corée du Sud sur un certain nombre d'îles contestées.
L'absence de démocratie dans les sociétés arabes qui a condamné d'avance tous accords de paix
Ce dernier point éclaire les carences plus générales dont ont pâti les efforts de paix d'Israël au fil des ans. Les accords de paix qu'Israël a signés à ce jour ont tous souffert du même problème, qui reflète l'état déplorable de la société et de la politique dans le monde arabe. Ces accords ont tous été signés avec les dirigeants, avec pratiquement aucun soutien à une paix véritable avec Israël dans l'opinion publique arabe ou parmi les élites intellectuelles.
Les véritables accords de paix ne peuvent être signés que par des dirigeants qui représentent fidèlement leur pays et le peuple. Seuls les États qui ont une continuité de régime et un large soutien public pour les accords et les engagements près à l'étranger, dont témoignent des élections ouvertes, justes, des sondages d'opinion publique fiables et un corps cohérent et cumulatif de discours de soutien, que cela soit exprimé dans les médias, les programmes d'enseignement ou la culture populaire, peuvent fournir une contrepartie fiable pour la signature des accords de paix.
En l'absence de ces conditions, les accords de paix restent fragiles et superficiels, qui ne peuvent garantir la paix et la stabilité. Ainsi, un changement radical dans le régime de la Syrie n'est pas seulement un impératif moral, mais aussi dans l'intérêt s'Israël, car un nouveau régime va certainement casser l'axe radical entre l'Iran, la Syrie et le Hezbollah, dans lequel la Syrie sert de lien. Une telle évolution, à son tour, promet d'ouvrir la voie vers une véritable démocratisation de la Syrie et du Liban.
Une démocratie en Syrie, un espoir pour toute la région et la fin de l'emprise de l'Iran
Sans le soutien syrien et sans voies d'approvisionnement qui vont de l'Iran au Liban, en passant par la Syrie, on doute que le Hezbollah puisse continuer à être l'acteur dominant au Liban. En outre, sans la vaste étendue territoriale accordée au Hezbollah par la Syrie et en l'absence du soutien politique et militaire qu'apporte le régime d'Assad au Hezbollah, alors le Camp du 14 Mars reviendra probablement au premier plan au Liban. Dans de nouvelles circonstances, ces forces modérées auront une chance de pouvoir enfin mettre un terme à l'emprise des milices armées, qui servent les intérêts iraniens, plutôt que libanais.
Inutile de dire que ce serait un coup sévère porté aux activités subversives de l'Iran dans la région, étant donné que la Syrie d'Assad lui sert de base avancée. Une telle évolution constituerait également un signal pour les Etats de la région, qui craignent le renforcement et la pénétration de l'Iran.
Le rêve d'un « Triangle de la Démocratie » : une réalité pour demain ?
On peut rêver, et ce rêve de nous retrouver faisant partie « d'un triangle de la démocratie » Israël-Liban-Syrie, est un rêve qui nous devrions prendre au sérieux. La principale question, bien sûr, est de savoir qui va prendre le pouvoir en Syrie après Assad. Est-ce que ce sera Al-Qaïda ou des groupes de militants affiliés aux Frères musulmans, qui continueront à nourrir la haine envers Israël et les Juifs ? Ou allons-nous plutôt voir l'apparition d'une direction qui cherchera à établir un dialogue ouvert, un État démocratique qui respectera les droits de l'homme et le droit international ?
C'est, en effet, une vaste question. L'opinion qui prévaut, surtout compte tenu des événements témoins en Libye, est que les groupes radicaux finiront par s'emparer de l'après-Assad en Syrie, laissant Israël dans une situation encore plus problématique que celle d'aujourd'hui.
Mon point de vue est quelque peu différent. C'est précisément la Syrie a un profil social encourageant : des jeunes instruits, une élite intellectuelle bien établie, une classe de commerçants ancrée dans une tradition vénérable du commerce et des hommes d'affaires dynamiques qui connaissent bien le monde extérieur et y appartiennent. Il s'agit d'une Syrie qui pourrait se révéler être l'antithèse du modèle libyen et rejoindrait le camp démocratique éclairé dont le Moyen-Orient a un tel besoin.
C'est peut-être un rêve irréaliste et peut-être pas. Les protestations d'un intellectuel syrien contre les iniquités de l'ancien monde arabe, et plus encore, l'esprit humaniste qu'il représente, donnent un peu d'espoir de voir que, peut-être cette fois, les choses pourraient prendre une tournure différente.