Tribune
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Publié le 20 Février 2013

La vérité sur les « martyrs »

 

Par Adam Lankford

 

En 2006, Mahmoud Al-Zahar, cofondateur du Hamas, tentait de contredire les déclarations israéliennes sur la chaîne de télévision Al-Arabiya : « Nous ne commettons pas d’opérations suicides », déclarait-il. « Les Israéliens essayent de nous provoquer en parlant de suicide parce qu’ils savent que l’islam l’interdit. Nos combattants sont des martyrs qui agissent en accord avec l’islam. » Ces propos ne sont pas surprenants. Al-Zahar n’est ni le premier ni le dernier à employer ce genre d’argumentation pour parler des motifs des terroristes. Ce qui est plutôt choquant et inquiétant, c’est que le reste du monde soit d’accord avec lui. Bien que l’on parle couramment d’« attentat suicide », des universitaires et des spécialistes de sécurité continuent d’insister sur le fait que les terroristes auraient des motifs idéalistes, et seraient mus par une idée de sacrifice et non par une volonté de suicide.

 

Aux États-Unis, en Europe et ailleurs, on enseigne aux étudiants que ces terroristes suicidaires se trouvent dans la position psychologique du soldat qui se précipite au-devant d’une explosion pour protéger ses camarades. Ou comme le dit Robert Pape, professeur américain et ancien conseiller pour deux campagnes présidentielles : « Ils sont comme des militaires animés d’un sens du devoir puissant et d’une volonté de sacrifice pour le bien commun. » Cette opinion est dangereuse parce qu’elle glorifie ces terroristes et, par là même, encourage les futures recrues.

 

Mais elle est aussi complètement infondée. J’ai passé plus de trois ans à étudier des transcriptions d’entrevues, des messages, des vidéos de « martyrs » et des témoignages. J’ai observé ainsi plus de 130 cas de terroristes. Or, ils présentent les conditions de risques classiques rencontrées dans un cas de suicide conventionnel. Je n’ai, par contre, pas vu une seule fois un terroriste purement motivé par l’idéologie et l’altruisme.

 

Il faut savoir que ceux qui se portent volontaires pour un acte de terrorisme sont généralement en situation de crise dont ils cherchent à s’échapper à tout prix. D’autre part, ceux qui y sont contraints sont habituellement faibles et désespérés et préfèrent mourir plutôt qu’abandonner ou désobéir.

 

Dans certains cas, ils admettent leur souffrance et leur désespoir. Un terroriste, Zuheir, a reconnu qu’après des années d’abus physiques par ses parents, il s’était porté volontaire : « non parce que j’appartenais à une organisation, mais parce que je pouvais réaliser mon voeu de mourir ». Un autre, Nazima, contraint à perpétrer un attentat, a avoué après son arrestation : « Quand ils m’ont dit que j’allais mener “une action” j’ai beaucoup pleuré, je me suis presque évanoui, tout est devenu noir devant mes yeux… Je leur répétais que je n’étais pas religieux, que je ne priais pas, et ils m’ont dit : “quand tu mourras, tu seras plus proche d’Allah”. » Ces terroristes sont des hommes désespérés et suicidaires et en aucun cas des martyrs.

 

Des terroristes suicidaires, sans guillemets

 

Mais le problème n’est pas là, on l’a vu récemment avec les déclarations faites par l’ambassadeur israélien aux Nations unies, Ron Prosor. Celui-ci, comme d’autres le font souvent, a suggéré qu’une lutte antiterroriste efficace consisterait à combattre l’idéologie liée à la notion de martyr. Celle-ci est en effet glorifiée dans beaucoup de cultures et les personnes prêtes à sacrifier leurs vies pour une cause sont mythifiées.

 

En cela, l’islam n’est pas différent du christianisme ou du judaïsme. Quand quelqu’un comme Ahmed Tibi, membre de la Knesset dit : « Dans l’histoire des nations et de leurs conflits, le martyr est la source ultime de fierté », il a certainement raison. Le vrai problème est ailleurs : il est dans la confusion entre un attentat suicide et un acte de sacrifice. Au lieu de condamner l’idéalisation du martyr, les chefs de gouvernement, les universitaires, et les journalistes devraient insister sur le fait que les attentats sont des suicides déguisés en actes idéaux.

 

On devrait montrer que les terroristes ne sont pas prêts à sacrifier leurs vies, mais cherchent tout simplement à se suicider. Nous en avons aujourd’hui la preuve et il est temps de dévoiler cette supercherie.

 

Israël et ses alliés devraient jouer un rôle majeur dans cette lutte. Ils devraient corriger ces idées reçues, trop largement diffusées, qui permettent à des terroristes suicidaires d’être considérés comme des individus équilibrés et idéalistes.

 

Des cas célèbres de suicidaires, Cléopâtre, Hemingway ou Sylvia Plath, l’ont clairement montré. On peut être éduqué, intelligent, rationnel, avoir un discours cohérent et savoir écrire, planifier ses actions et être bien, puis la minute suivante vouloir se tuer.

 

Peu importe d’ailleurs d’où ils viennent, ou comment ils agissent, si quelqu’un se suicide, c’est parce qu’il ne veut plus vivre, un point c’est tout. Les terroristes qui se suicident ne sont pas différents, même s’ils tentent de dissimuler leurs problèmes personnels et de se déguiser en combattants pour une cause.

 

Les dirigeants israéliens devraient inviter les universitaires et journalistes musulmans à venir parler aux terroristes suicidaires emprisonnés. Ils leur confieraient leurs véritables motivations. Confrontés à leurs confessions sur leur désir de mourir, ces spécialistes verraient enfin la vérité. Ils auraient ensuite à informer le public : un certain nombre de terroristes n’auraient jamais pu être de vrais martyrs. On verrait alors d’une autre manière ceux qui prétendent être des shahid et shahida.

 

Par-delà les discours et déclarations idéologiques, on reconnaîtrait les « martyrs » pour ce qu’ils sont vraiment : des malheureux qui veulent en finir avec la vie.

 

Finalement, le combat antiterroriste devrait être une campagne sémantique. Il s’agit effectivement de changer le langage des attentats suicides, de façon à ce que des termes comme « sacrifice » ou « martyr » ne soient plus utilisés par des commentateurs, par ailleurs modérés.

 

L’histoire nous a montré que les mots que l’on entend nous affectent au niveau inconscient et influencent nos opinions et comportements. C’est ainsi que des euphémismes comme « solution finale » ou « nettoyage ethnique » ont pu être tellement efficaces – car, au niveau émotionnel, tout le monde a, par exemple, des réactions positives au terme de nettoyage. Il faut appeler les choses par leur nom : lors d’un attentat suicide, les terroristes commettent un « suicide » et leurs motifs sont, oui, suicidaires, sans guillemets.