English
Français
Le 20 janvier 2006, Ilan Halimi, qui vit dans l’Est parisien avec sa mère et sa sœur, a rendez-vous dans la soirée avec la jeune Emma, qui l’a abordé trois jours plus tôt dans le magasin de téléphonie du boulevard Voltaire où il effectuait un remplacement. La mineure est un appât « loué » par un certain Youssouf Fofana, dont le plan est d’enlever un Juif « parce qu’ils sont bourrés de thunes ». Emma entraîne Ilan dans le sous-sol d’un immeuble de Sceaux. Là, ses complices le frappent et le neutralisent à l’éther, puis l’emmènent jusqu’à un appartement vide, situé dans une cité de Bagneux (Hauts-de-Seine). Pendant les trois semaines suivantes, Ilan est torturé.
Le 21 janvier, Youssouf Fofana envoie depuis un cybercafé une photo d’Ilan à sa famille, sur laquelle le jeune homme apparaît menacé par un pistolet. Fofana exige une rançon de 450 000 euros, à remettre au plus tard le lundi 23 janvier 2006. Il quitte ensuite la France pour la Côte d’Ivoire, laissant l’otage à des complices. Ceux-ci, devant l’absence de réaction de la famille Halimi, s’impatientent, puis envoient une nouvelle photo d’Ilan. Les jours passent, les échanges téléphoniques avec la famille d’Ilan se multiplient, le montant de la rançon ne cesse de changer.
De retour en France le 28 janvier 2006, Fofana avertit un rabbin « qu’un Juif a été kidnappé » et le guide jusqu’à une boîte à lettre parisienne, où l’homme découvre une cassette audio sur laquelle est enregistré un message de l’otage « en sanglot, à bout de force, parlant des sévices subis ». Au même moment, Fofana doit libérer l’appartement où est détenu Ilan : dans la nuit du 29 au 30, il transporte celui-ci sur son dos jusqu’à un local technique, dans les caves d’un immeuble voisin. Le 31 janvier, un cousin d’Ilan est conduit jusqu’à un pressing, où il trouve une cassette vidéo de l’otage, suppliant qu’on paye la rançon, ainsi qu’une photo de lui, en peignoir, menotté. La situation s’enlise. Dans la cave, Ilan s’affaiblit : il est dévêtu, toujours ligoté, à peine nourri, son visage est entouré de scotch. Des gardiens craquent, mais d’autres sont prêts à les relever.
Le 4 février, Fofana repart pour la Côte d’Ivoire, d’où, le 6, il organise une remise de rançon. Elle doit avoir lieu place de Clichy, et être apportée par le père d’Ilan (celui-ci est séparé de la mère du jeune homme). Le ravisseur n’a pas trouvé de détecteur de faux billets à Paris : il demande que l’opération se fasse à Bruxelles. Le père d’Ilan refuse. D’Afrique, Fofana demande alors à ses complices de photographier l’otage, une photo où Ilan serait « en sang ». Ce dernier est trop affaibli pour supporter des coups, alors ils lui entaillent la joue au cutter.
Le dimanche 12 février 2006, Fofana rentre à Paris. Ses complices en ont visiblement assez. Il leur assure qu’il va relâcher Ilan, qu’il frappe à nouveau violemment pour obtenir les coordonnées d’autres membres de sa famille. Puis, afin d’effacer les indices, Ilan est lavé, ses cheveux sont rasés. Le 13, à 5 h, les membres du gang voient Fofana s’éloigner au volant d’une voiture volée. Son otage se trouve dans le coffre. Trois heures et demie plus tard, une passante en voiture repère Ilan, couché le long d’une voie de chemin de fer, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il est nu, menotté et bâillonné. Son corps est couvert de brûlures. Il meurt au cours de son transfert vers l’hôpital. Les médecins recensent quatre plaies au cou, dont une à la veine jugulaire, une à la hanche, faites par un « instrument tranchant et piquant. »
Le 15 février 2006, Audrey Lorleach, membre du Gang des Barbares, dénonce les faits à la police. Youssouf Fofana se réfugie précipitamment en Côte-d’Ivoire, où il est arrêté une semaine plus tard, avant d’être extradé vers la France, où il est mis en examen et écroué. L’émotion qui accompagne l’annonce du décès d’Ilan Halimi est immense. Plusieurs manifestations sont organisées à Paris et en province. Les réactions se multiplient dans la presse et les médias pour condamner ce meurtre odieux. Pourtant, pendant quelques jours, l’incertitude demeure. Est-ce un crime crapuleux ? Ou est-ce, circonstance aggravante, un crime antisémite ? La question est bientôt tranchée : le 5 mars 2006, les magistrats instructeurs retiennent la circonstance aggravante d’antisémitisme et Le Monde publie des informations en faveur d’une interprétation antisémite de l’affaire. Plus de doute, il s’agit d’un crime antisémite. Immédiatement, le ton change.
Le 29 avril 2009, à la fin de l’instruction, que s’ouvre le procès des membres du Gang des Barbares devant la cour d’assises des mineurs de Paris. C’est un procès important qui se tient selon les règles de publicité restreinte, car certains des accusés sont mineurs au moment des faits. Dès la première audience, Youssouf Fofana se livre à d’intolérables provocations. Tout sourire, il lance, le doigt en l’air, « Allah vaincra ». Lorsqu’on lui demande son identité et sa date de naissance, il répond « Arabe, Africain, islamiste et salafiste » et dit être né le 13 février 2006 à Sainte-Geneviève-des-Bois – date et lieu de la mort de sa victime. C’est pourtant au cours des audiences que Youssouf Fofana avoue pour la première fois, devant les juges de la cour d’assises de Paris, être l’auteur de l’assassinat du jeune homme : « Vous savez bien que je l’ai fait et vous savez que j’ai agi seul », déclare-t-il lors de la déposition des deux médecins légistes qui ont examiné le corps. Fofana reconnaît avoir versé un liquide sur le corps d’Ilan et l’avoir enflammé avec un briquet. De fait, l’autopsie a révélé sur l’ensemble du corps des brûlures causées par de l’alcool à brûler.
Le 11 juillet 2009, Youssouf Fofana est condamné à la peine maximale, la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans. L’accusé renonçant, après avoir hésité, à faire appel de cette condamnation, elle devient donc définitive. Les verdicts prononcés à l’encontre des autres prévenus vont de 18 ans de prison ferme à l’acquittement :
Youssouf Fofana : Perpétuité avec une peine de sûreté de 22 ans.
Jean-Christophe Soumbou : 18 ans de prison.
Samir Aït Abdelmalek : 15 ans de prison.
Jean-Christophe G., mineur au moment des faits : 15 ans de prison.
Nabil Moustafa : 13 ans de prison.
Cédric Birot Saint-Yves : 11 ans de prison.
Yahia Touré Kaba : 11 ans de prison.
Fabrice Polygone : 11 ans de prison.
Christophe Martin-Vallet : 10 ans de prison.
Jérôme R. : 10 ans de prison.
Emma Yalda, mineure au moment des faits : 9 ans de prison.
Tifenn Gourret : 9 ans de prison.
Gilles Serrurier : 9 ans de prison.
Alexandra Sisilia : 8 ans de prison.
Francis Oussivo N’Gazi : 7 ans de prison.
Guiri N’G : 6 ans de prison.
Franco Louise : 5 ans de prison.
Sabrina Fontaine : 3 ans de prison.
Jérémy Pastisson : 3 ans de prison.
Alcino Ribeiro : 8 mois de prison.
Christine G. : 6 mois de prison avec sursis.
Audrey Lorleach : 2 ans de prison, dont 16 mois avec sursis.
Leïla Appolinaire : 6 mois de prison avec sursis, avec effacement du casier judiciaire.
Isabelle Mensah : 6 mois de prison avec sursis.
Muriel Izouard : acquittée.
Alassane D. : acquitté.
À l’énoncé du verdict, les parties civiles réagissent sans tarder. Au pied même des escaliers de la cour d’assises, l’avocat de la famille Halimi, Me Francis Szpiner, déclare : « La peine de prison à perpétuité assortie de 22 années de sûreté pour Youssouf Fofana est juste. La cour a cependant été particulièrement indulgente avec les autres accusés. Ce crime est un défi pour la République et la société française. » Le CRIF critique la forme du procès. « Cette tragédie a été aggravée par le huis clos qui a entouré ce procès et qui lui a retiré la valeur exemplaire et pédagogique qu’il aurait dû avoir ». L’UEJF se montre elle aussi critique envers le huis clos, qui rend le verdict et l’absence de débat prévisibles. Quant au Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), il dénonce un procès « incomplet », en réclame un nouveau. Me Szpiner, qui, en tant que partie civile, ne peut faire appel du jugement exhorte alors le ministre d’ordonner au procureur général de Paris de s’en charger. Finalement, un nouveau procès aux assises, annonce le parquet général, sera organisé pour 14 des 25 complices de Youssouf Fofana.
Le 17 décembre 2010, la cour d’assises d’appel du Val-de-Marne alourdit les peines de sept des dix-sept accusés du Gang des Barbares jugés en appel. La cour prononce des peines allant de huit mois d’emprisonnement à 18 ans de réclusion criminelle, ainsi qu’un acquittement. Elle confirme par ailleurs le verdict prononcé en première instance à Paris en juillet 2009 pour les 10 autres accusés. Les condamnations les plus lourdes (18 ans de réclusion) visent Jean-Christophe Soumbou, l’un des ravisseurs, et Samir Aït Abdelmalek, condamné à 15 ans en première instance, et considéré comme le bras droit de Youssouf Fofana. L’un des geôliers d’Ilan Halimi, mineur au moment des faits et seul à être jugé à Créteil avec la circonstance aggravante d’antisémitisme, voit confirmer sa peine de 15 ans de réclusion. La peine à 9 ans de réclusion de la jeune fille qui a servi d’appât, Emma Yalda, est confirmée.
Dans cette surabondance de polémiques et de déclarations politiques, de réactions multiples et de rebondissements compliqués, nous retiendrons le désarroi de la communauté juive. Nous retiendrons également les larmes d’une mère : celles de Ruth Halimi, écrasée de douleur lors de l’enterrement de son fils, Ilan.
Voir à ce sujet : Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013. Paris, janvier 2013, Berg International Éditeurs, 350 pages.