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Atlantico : Alors que l'actualité s'interroge sur les risques liés au djihadisme, la récente démission du chef des renseignements saoudiens Bandar ben Sultan, critiqué pour son financement de groupuscules terroristes, est passé relativement inaperçue. Jusqu'à quel point cet événement pourra influer sur la pratique de la guerre sainte dans les pays du Proche-Orient ?
Fabrice Balanche : La mise à l’écart du prince Bandar ben Sultan s’est faite en deux temps. Le roi lui a tout d’abord retiré le dossier syrien en février dernier vu le manque de résultats quant à "la chute imminente" de Bachar el-Assad. Puis, la semaine dernière le prince Bandar ben Sultan a été démissionné de sa position de chef des services de renseignements saoudien qu’il occupait depuis juillet 2012. De 1983 à 2005, il fut ambassadeur d’Arabie Saoudite aux Etats-Unis, ce qui lui a permis de nouer des liens très puissants avec la famille Bush. Sa disgrâce est plus liée au manque de résultats que par ses pratiques peu orthodoxes en matière de financement des terroristes, car, dans ce contexte, la fin justifie les moyens. La chute du régime de Bachar el-Assad, allié de l’Iran, est la priorité de la monarchie saoudienne et le djihadisme un instrument de ce combat. Bandar ben Sultan a également été victime des manœuvres pour favoriser l’accession au trône du fils aîné du roi Abdallah, au détriment du Prince héritier, son frère le prince Salman, afin que le pouvoir demeure au sein de son clan.
Bandar ben Sultan avait par ailleurs été remplacé par le prince Ben Nayef ben Abdel Aziz dans la gestion du dossier syrien alors que ce dernier affiche une ferme opposition aux formations se réclamant d'Al-Qaïda. Une telle évolution marque-t-elle une nouvelle donne dans la gestion saoudienne des groupes djihadistes ?
Il ne faut perdre de vue que l’Arabie saoudite est maître dans l’art du double discours et que les chancelleries occidentales s’en accommodent très bien. Le prince Ben Bayef qui a succédé à Bandar ben Sultan a certes combattu des groupes liés à Al-Qaïda au Yémen, mais simplement parce que cela menaçait les intérêts directs de l’Arabie saoudite. Il ne faut pas s’attendre à la même croisade contre le Front Al-Nosra en Syrie, branche officielle d’Al-Qaïda, car il sert les intérêts de l’Arabie saoudite, tout comme l’Etat islamique d’Irak et du Levant sert ses intérêts en Irak (même s’il les dessert en Syrie). L’Arabie saoudite instrumentalise les groupes djihadistes en fonction de ses intérêts. En février dernier, le roi a publié un décret mettant sur la liste des organisations terroristes le Front Al-Nosra, l’Etat Islamique d’Irak et du Levant et les Frères musulmans. Cependant dans l’attaque du village arménien de Kessab à la frontière syro-turque le 21 mars dernier, le Front Al-Nosra et Ahrar Es Sham, financé par l’Arabie Saoudite, combattaient ensemble. La monarchie saoudienne veut simplement éviter que des djihadistes saoudiens ou étrangers ne se retournent contre elle.
Le radicalisme et l'indiscipline de brigades liées à Al-Qaïda (Front Al-Nosra notamment) auraient par ailleurs fortement agacé le régime de Riyad. Ces combattants, un temps considérés comme un gros atout géopolitique, ont-ils perdu grâce aux yeux de la famille Saoud ?
Les groupes djihadistes ne sont pas à vendre, mais à louer. Leur gestion est compliquée, car ils ignorent la fidélité et considèrent l’aristocratie saoudienne comme des mécréants. Ils se divisent rapidement pour des querelles d’égo et le partage du butin. Aucun chef ne parvient à s’imposer sur cette myriade de groupuscules. En Syrie, le Front Al-Nosra est d’ailleurs une sission de l’Etat islamique d’Irak et du Levant fin 2012. Les frères ennemis se sont disputé les fatwas d’Ayman Al-Zawairi, l’idéologue d’Al-Qaïda, car ce label est gage de financements internationaux et de combattants. Le fait d’avoir perdu le label Al-Qaîda au profit du Front Al-Nosra en novembre 2013, n’empêche pas l’EIIL de prospérer. Ses troupes ne l’ont pas abandonné et son chef, Al-Baghdadi, défie Ayman Al-Zawairi sans crainte… Lire la suite.