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Marine Le Pen vient d'en faire, à nouveau, la démonstration en récusant l'étiquette d'"extrême droite" accolée au parti créé par son père en 1972 et qu'elle dirige depuis bientôt trois ans. "Il s'agit d'un terme volontairement péjoratif", utilisé pour "nuire", en mettant le FN "dans le même sac" que le mouvement néonazi grec Aube dorée, a-t-elle déclaré le 1er puis le 3 octobre 2013. Elle envisage donc de saisir la justice pour faire cesser ce qu'elle considère comme une "insulte" et une "guerre sémantique" contre son mouvement.
Ce n'est pas une surprise. D'une part, la présidente du Front national poursuit, logiquement, l'entreprise de "dédiabolisation" qui lui a fort bien réussi depuis trois ans. En se débarrassant des vieux oripeaux pétainistes du FN originel, en se démarquant des saillies antisémites de son père, en revendiquant haut et fort son respect des institutions et en s'emparant de la laïcité (même si c'est pour mieux dénoncer "l'islamisme"), Mme Le Pen est parvenue à donner du FN, aux yeux d'un nombre croissant de Français, notamment à droite, l'image d'un parti fréquentable. Récuser l'étiquette d'"extrême droite" parachève ce travail de normalisation.
D'autre part – et comme souvent –, la présidente du FN utilise les mêmes ficelles que son père. Déjà, en 1995, Jean-Marie Le Pen avait dénoncé la qualification d'extrême droite et poursuivi deux journaux, Le Monde et Libération, pour cette raison. La justice l'avait débouté, considérant qu'il s'agissait, de sa part, d'un "abus de droit", visant, "de façon délibérément dissuasive, à censurer le vocabulaire du journaliste".
"Faute déontologique"
À l'époque, Le Pen père avait plaidé que son mouvement relevait de la "droite nationale" et n'avait rien à voir avec l'extrême droite des ligues et des mouvements fascistes d'avant-guerre. Sa fille y ajoute un autre argument : le Front national ne serait "absolument pas" né, voilà quarante ans, du regroupement de groupuscules d'extrême droite.
Elle sait pourtant parfaitement que c'est une contrevérité. Le FN a bien rassemblé, à l'origine, des néofascistes d'Ordre nouveau, des anciens de la collaboration, des soldats perdus de l'OAS, des nationalistes révolutionnaires et des poujadistes. Elle le sait d'autant mieux que, pour être élue à la présidence du mouvement, en 2011, elle avait "assumé tout l'héritage" du FN – son code génétique, en quelque sorte.
Pour elle, qualifier son parti d'"extrême droite" serait donc, carrément, une "faute déontologique". Redisons-le donc clairement : par sa seule position sur l'échiquier politique français, autant que par ses idées et son projet, le Front national est, aujourd'hui comme hier, un mouvement d'extrême droite.
Sa dénonciation du "système" et des élites, la préférence (ou priorité) nationale qu'elle veut imposer, la stigmatisation de l'immigration et de l'islam, la condamnation de l'Union européenne et du "mondialisme" en font un parti réactionnaire. Un parti opposé aux principes républicains d'égalité, de fraternité et de liberté – en l'occurrence de liberté de la presse –, dès lors que Mme Le Pen prétend dicter à chacun son vocabulaire et ses analyses.