Tribune
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Publié le 30 Mai 2014

Le piège Front national se referme

Par Laurence Parisot, ancienne Présidente du MEDEF et vice-Présidente de l’IFOP et Rose Lapresle, Philosophe, experte en stratégie, publié dans Libération le 29 mai 2014

Nous avons écrit, en 2011, Un piège bleu Marine, qui démontait les rouages du piège tendu par le Front national (FN) dorénavant incarné par la fille de son fondateur. 

Un piège économique, parce que Marine Le Pen installe des idées fausses : l’idée fausse que l’euro nous aurait appauvris ; que d’ores et déjà, nous vivrions dans l’austérité ; que le patriotisme économique n’aurait pas de sens à l’échelle européenne ; qu’on pourrait produire purement français ; que les barrières douanières auraient le pouvoir de protéger notre industrie ; que les banques françaises manqueraient à leur devoir ou à leur vocation ; qu’il faudrait aujourd’hui faire comme sous les Trente Glorieuses et que la France aurait la taille suffisante pour se réindustrialiser et rayonner seule.

Oubliant par là que la France n’a globalement supprimé aucune prestation sociale et que ses banques n’ont failli à aucun de leurs engagements. Ne voulant pas voir que les produits que nous consommons sont déjà souvent le résultat de toute une chaîne économique internationale. Ignorant volontairement que notre rapprochement continu avec l’Allemagne depuis 1945 n’a cessé de nous ouvrir des perspectives. Cachant au passage qu’en réalité, la France n’a jamais resplendi seule, mais toujours en s’adjoignant des forces étrangères, liées autrefois à des conquêtes rarement pacifiques car coloniales. Nous interdisant d’être fiers d’avoir tenu bon face à ce tsunami venu des Etats-Unis qu’on appelle depuis 2007 «la crise».

Un piège médiatique, parce que les grandes gueules, tous les spectateurs aiment ça et l’audience, c’est du pain bénit, y compris pour les chaînes publiques. Parce que la confusion et les amalgames, ça simplifie et ça rassure. Parce qu’une femme, et qui sait cogner, ça change dans un champ public trop masculin.

In fine, un piège politique. Seul Jean-Luc Mélenchon se sera attaqué à elle. L’aboulie des autres partis dans ce qui aurait dû être un grand sursaut républicain laisse pantois. Un seul mot d’ordre, ne pas s’attaquer à Marine Le Pen, avec une belle excuse, ne pas lui faire ce cadeau ! Les partis de gouvernement lui auront ainsi permis de gagner chaque jour un peu plus de terrain, se contentant d’être seulement plus ou moins clairs. Que les plus clairs en soient quand même félicités. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a perdu, et sur un programme qui s’en distingue principalement sur l’immigration : c’est dire que les principes d’exclusion sont bien ce qui fait la différence et mène Marine Le Pen vers le succès.

Le bilan des élections européennes est une véritable catastrophe. On ne saurait se consoler par un tour de passe-passe consistant à calculer qu’en pourcentage des inscrits, le Front national représente seulement 10%du corps électoral ; ni par une réflexion sur le mode de scrutin resté incompris des Français ni par le statut très particulier de l’élection européenne qui par définition n’a pas d’impact sur la gouvernance de notre pays… Lire la suite.