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Il y a quelque soixante-dix ans, Muhammad Ali Jinnah, le père fondateur du Pakistan, lançait le mouvement de création d'un État indépendant pour les musulmans de l'Inde britannique. L'administration coloniale britannique a fini par acquiescer, créant un pays à partir des régions à majorité musulmane. Les deux tiers de la population de ce qui est maintenant le Pakistan étaient musulmans ; le reliquat étant composé en majeure partie d'hindous et de sikhs.
Cette composition ethnique a grandement changé avec la création en 1947 de deux nouveaux États distincts: l'Inde et le Pakistan, alors que 14 millions de personnes traversaient la frontière nouvellement tracée. 8 millions de réfugiés musulmans ont fui l'Inde pour entrer au Pakistan, et 6 millions d'hindous et de sikhs ont fait le chemin inverse. À la fin de ce processus de «purification ethnique», la population du Pakistan était à 95 % musulmane.
Au fil du temps, une proportion de plus en plus grande de cette population a commencé à exiger la création d'un État islamique dans les régions formant le Pakistan d'aujourd'hui. La prochaine élection déterminera jusqu'où le pays se rendra sur ce chemin.
Le Pakistan n'est pas le seul pays musulman qui cherche à redéfinir son avenir politique et économique. Les mêmes processus sont en train de se dérouler dans d'autres grands pays de la partie ouest du monde islamique. Par contre, d'autres grands pays musulmans comme l'Indonésie et la Malaisie ont réussi à établir des structures politiques qui servent assez bien tous les segments de populations de diverses origines ethniques. Ceci pourrait se reproduire dans la partie ouest du monde islamique, mais uniquement après des luttes semblables à celles qui se déroulent aujourd'hui au Pakistan.
Les grands pays dans cette partie du monde islamique, en particulier l'Égypte, le Pakistan et la Turquie, tentent de régler quatre problèmes, le plus difficile étant celui de définir le rôle de l'islam dans le système politique.
La Turquie semble avoir trouvé une solution, motivée en partie par sa volonté de se joindre à l'Union européenne. Le parti conservateur au pouvoir, doté de profondes racines religieuses, se contente de laisser la religion dans le domaine de l'observance privée, sans influence directe sur les politiques publiques. La situation est moins stable en Égypte, tandis qu'au Pakistan une faction mineure de la population, quoique très motivée, a adopté la voie d'actes d'extrême violence comme forme d'expression politique.
Il faut également résoudre le problème du rôle de l'armée dans la vie politique. Ici encore, la Turquie a pris les devants ; et, tant en Égypte qu'au Pakistan, les hommes en uniforme sont retournés dans leurs casernes, sans toutefois perdre de leur influence sur la politique générale.
Il reste aussi le problème du sectarisme, particulièrement les tensions croissantes entre les musulmans d'obédiences sunnite et chiite. Ces conflits pourraient être exacerbés par l'issue des combats en Syrie. Si les sunnites y triomphent, il est possible qu'ils adoptent des positions plus fermes dans des pays où résident d'importantes populations chiites. On ignore souvent que le Pakistan a la deuxième plus grande population chiite du monde, après l'Iran, avec environ 50 millions d'adhérents. Ces dernières années, ils ont été la cible d'attentats sanglants à Karachi et à Quetta, qui ont tué plus de 400 personnes.
La dernière question à régler porte sur la nature des relations que le monde musulman désire entretenir avec l'Occident, en particulier avec les États-Unis. Après la chute de l'Empire ottoman, un «grand compromis» s'est établi où l'Occident tolérait l'autoritarisme des sociétés musulmanes en échange d'un approvisionnement stable de pétrole, d'un droit de passage dans des voies maritimes sensibles et d'une certaine tolérance à l'égard de l'existence de l'État d'Israël. Or, ce compromis ne tient plus. Le nouvel arrangement qui le remplacera sera déterminé par la structure du nouvel ordre politique qui prédominera dans la partie ouest du monde islamique. En d'autres termes, l'avenir du Pakistan n'est pas le seul enjeu de l'élection.
Il est de plus en plus reconnu, parfois à contrecœur, que la coalition dirigée par le Parti du Peuple Pakistanais a réussi à créer une structure politique établie sur des assises relativement stables. C'est là une véritable prouesse dans un pays qui a connu un parcours politique en montagnes russes pour la plus grande partie de son histoire. Mais la coalition s'est révélée incapable de transformer son succès politique en de meilleures performances économiques.
Depuis cinq ans, la croissance annuelle moyenne du PIB du Pakistan n'était que de 3 %. C'est la moitié du taux requis pour absorber, chaque année, les 2 millions de nouveaux venus sur le marché du travail. Si la croissance ne reprend pas, les rangs des chômeurs grossiront, accroissant le nombre de nouvelles recrues que les groupes extrémistes peuvent utiliser à leurs fins.
Le prochain scrutin nourrit l'espoir et attise l'angoisse au sein de la population pakistanaise. Le résultat du scrutin pourrait aller dans les deux sens, mais, quoi qu'il arrive, là où le Pakistan ira, les autres pays musulmans suivront.
* Ancien vice-président de la Banque mondiale, actuellement président de l'Institut de politique publique de Lahore.
(Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier)
À lire aussi dans le Figaro : L'avenir incertain de la démocratie au Pakistan