Tribune
|
Publié le 20 Juin 2014

Les chrétiens de Bagdad craignent une offensive des djihadistes

Par Georges Malbrunot, publié dans le Figaro le 19 juin 2014

Plus que toute autre composante de la mosaïque irakienne, les membres de la minorité chrétienne redoutent de revivre le cauchemar de la guerre civile chiite-sunnite, dont ils avaient eux aussi fait les frais. Maria a peur. Pas pour elle-même, mais pour ses enfants. «Quand ils vont à l'école le matin, je suis inquiète», confie cette chrétienne de Carrada, un quartier mixte du centre de Bagdad, régulièrement la cible d'attentats.

Plus que toute autre composante de la mosaïque irakienne, les membres de la minorité chrétienne redoutent les djihadistes qui ont juré d'attaquer la capitale. «En 2006, se souvient Maria, mon cousin a été égorgé par al-Qaida sur la route de l'aéroport parce qu'il avait travaillé avec les Américains. Peu après, sa famille a quitté l'Irak». Aujourd'hui, beaucoup de chrétiens craignent de revivre le cauchemar de la guerre civile chiite-sunnite, dont ils avaient eux aussi fait les frais.

Au premier jour de la poussée djihadiste dans les provinces d'al-Anbar, Maria a accumulé les provisions: du riz, de l'huile, du sucre. De quoi nourrir ses trois enfants, son mari et ses parents qu'elle héberge. La menace se rapprochant, elle a mis de l'ordre dans ses papiers. «Mon passeport est prêt, dit-elle, une croix en sautoir sur son chemisier. Je peux aller au Liban ou en Turquie pour demander un visa.»

En dix ans, un demi-million de chrétiens ont émigré

Comme de nombreux chrétiens, Maria pense émigrer. En dix ans, un demi-million au moins ont refait leur vie au Canada, aux États-Unis ou en Australie. «L'Irak ne me plaît plus. Je cherche un avenir meilleur pour mes enfants. Trois guerres, des attentats tous les jours ou presque, des hommes politiques auxquels personne ne croit plus, ça suffit!», s'écrie-t-elle.

Ces jours-ci, il n'y a pas foule dans la cathédrale des dominicains pour assister à la messe quotidienne en fin de journée. Des familles ont déjà fui Bagdad pour les régions plus sûres du nord du pays. «Elles ne veulent pas risquer d'être là lorsque l'État islamique arrivera», constate avec amertume le père Rami au couvent d'al-Wathaq. Mais lui ne veut pas céder à la paranoïa ambiante. Il a décidé de décliner une invitation en France. «Cela donnerait un mauvais signal à mes fidèles qui déjà s'interrogent», dit ce jeune prêtre, qui en a vu d'autres.

Au mur de son bureau, empli de livres, un écran de sécurité lui permet d'observer ce qui se passe dans la rue devant chez lui. Il l'a fait installer après l'attentat du 31 octobre 2010, une date qui a marqué l'histoire de la communauté chrétienne de Bagdad. Ce jour-là, un commando terroriste attaqua l'église de Notre-Dame du salut tuant 42 fidèles, dont une majorité de femmes et d'enfants ainsi que deux prêtres. «Depuis, des chrétiens continuent d'aller au marché, mais ils ne viennent plus à l'église, ils ont peur», regrette Abouna Rami, comme on l'appelle familièrement… Lire la suite.