Tribune
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Publié le 25 Février 2014

Les enfants perdus du djihad

Enquête de Claudie Baran publiée dans le Figaro le 22 février 2014

 

Depuis le début du conflit syrien, des milliers de jeunes Européens, parfois mineurs, dont une majorité de Français, ont rejoint la zone des combats. Laissant des familles incrédules et désemparées. Nous les avons rencontrées.

 

«Je vous supplie de nous laisser tranquilles!» La communication s'achève avant d'avoir commencé. Le dénominateur commun aux parents dont les enfants sont partis rejoindre le front syrien, c'est une détresse insondable doublée d'une sourde absence d'espoir. Des sentiments souvent tus par pudeur, par dignité aussi. Plus que tout, pères et mères craignent pour la vie de leurs enfants. Témoigner les terrorise. Il faut alors insister. Beaucoup. Pour les convaincre que les médias sont aussi là pour leur offrir une page blanche où crier leur colère, écraser leurs larmes, appeler leurs enfants à la raison.

Rompre le silence et l'isolement des familles est indispensable. Leur donner la parole, nécessaire. Parce que leurs enfants sont encore adolescents ou tout juste adultes. Parce que, à 14, 15, 18 et même 20 ans, c'est plutôt l'âge de flirter, de fumer sa première cigarette, de sortir avec les copains, de décrocher un job rémunéré. Certainement pas celui du sang, de la guerre et de la mort. Certains parents redoutent qu'une médiatisation excessive mette un terme au lien ténu des SMS, des appels téléphoniques, des communications par Skype, négociés âprement avec leurs gamins sur le front. Ils ont peur de les mettre en danger. Mais ne le sont-ils pas déjà?

 

«Oh que si!», rétorque Meriam, pressée de faire connaître son combat au plus grand nombre. Française d'origine tunisienne, «mais avant tout française et fière de mon pays», Meriam a 25 ans et mène la vie d'une jeune femme diplômée, jolie, aimée. Jusqu'à cette date fatidique où tout bascule: «Le 14 octobre 2013, le père de ma fille est parti, Assia dans les bras, rejoindre le front syrien!» Mariée en 2011 à un jeune homme de 23 ans aux mêmes origines qu'elle, Meriam donne naissance à un beau bébé en avril 2012. «Et puis les radicaux lui sont tombés dessus.» En quelques semaines, son mari change complètement de comportement et se rapproche du mouvement fondamentaliste Forsane Alizza (Les Cavaliers de la fierté), dissous en mars 2012 à la demande de Claude Guéant. Il interdit désormais musique et jouets à leur fille et refuse qu'elle soit un jour scolarisée.

 

Rejoindre l'insurrection syrienne devient une obsession

 

Meriam retourne vivre chez ses parents et n'accepte les visites du père à sa fille que sous son contrôle. Elle a peur. Un jour, son ex-époux vient chercher la petite pour l'emmener faire des courses. Assia a 18 mois et sa maman ne la reverra plus. Depuis, c'est un dialogue de sourds. «Son dernier appel téléphonique remonte à un mois. J'entendais Assia qui me réclamait en pleurant ; maman! maman! maman! pendant qu'il m'exhortait à les rejoindre où il combat auprès d'al-Nosra, une organisation terroriste proche d'al-Qaida. Il me répétait en boucle: tu dois venir en Syrie, car c'est le seul endroit où notre famille sera en sécurité. Le danger est désormais en France, où nous sommes stigmatisés.» Assia vient d'avoir 21 mois. «Elle est la plus jeune otage détenue par al-Qaida!» dénonce, amère, cette maman en détresse.

La France paie un lourd tribut à cet exode de djihadistes épris de guerre. La Belgique aussi. Vilvorde, est considérée comme l'un des principaux foyers de recrutement pour le djihad en Syrie. Les médias nationaux parlent d'une véritable hémorragie à propos des départs toujours plus nombreux des jeunes issus de ce «quartier» de Bruxelles. Samira se souvient de ses rues peuplées d'une jeunesse dilettante et joyeuse. Des rues désormais sinistres. Selon les autorités locales, une quarantaine de garçons seraient partis rejoindre le front syrien. Selon les habitants de la bourgade flamande, ils seraient plutôt une bonne centaine. Et cela ne cesse de s'aggraver. Les départs s'accélèrent et ce sont des groupes d'une dizaine d'individus qui s'envolent vers la Turquie, zone de passage obligé pour pénétrer dans le pays voisin… Lire la suite.