English
Français
Ce parc naturel, situé à l'extrême nord du Cameroun, se trouve au carrefour de quatre pays : le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et la République de Centrafrique. "La zone est peuplée de populations peules [ethnie noire musulmane minoritaire de la région sahélo-saharienne, NDLR]", précise Cyril Musila. "L'aridité du climat, et donc la rareté de l'eau, provoque des phénomènes de transhumance des villageois. Il est donc très fréquent que les éleveurs de bétail traversent sans permission les frontières poreuses de ces divers pays à la recherche de pâturages."
Zone sécurisée ?
Mais cette zone se confronte aussi depuis les années 1990 à l'arrivée de multiples rebelles en provenance du Tchad et de la République de Centrafrique, en proie à des guerres civiles. Les conflits terminés, ils rentrent dans les villages avec leurs armes. Ils se sont depuis fait une spécialité d'attaquer les convois de voyageurs et de marchandises pour subvenir à leurs besoins. "En 2000, ils ont enlevé dans le nord du Cameroun des enfants qu'ils ont libérés en échange de rançons pour la reconstitution de leurs troupeaux", rappelle ainsi Cyril Musila.
Le gouvernement camerounais a depuis envoyé des brigades pour sécuriser le nord du pays. Bien que délaissé par les touristes, le parc naturel de Waza était redevenu un lieu relativement sûr. Pourtant, nul n'est censé oublier qu'à quelques kilomètres de là s'est développée au Nigeria une redoutable secte islamiste. Créé après le 11 septembre 2001, le groupe terroriste Boko Haram (qui signifie "l'éducation occidentale est un péché") s'est donné pour but d'instaurer un État islamique dans le nord du Nigeria. Préconisant la lutte armée contre les chrétiens et l'Occident, il a revendiqué de nombreux attentats contre les églises et les bâtiments gouvernementaux dans le nord du pays, à majorité musulmane.
Secte islamiste
"S'il ne bénéficie pas d'une adhésion massive dans le nord du Nigeria, en raison de la radicalité de l'islam qu'il prône, Boko Haram a néanmoins réussi à tabler sur la rancune socio-économique et politique d'une population marginalisée par le sud du pays" (à majorité chrétienne, où se trouvent les régions pétrolifères, NDLR), estime Cyril Musila.
D'après le chercheur, la transhumance en vigueur dans la région fait que la secte demeure très connectée socialement aux populations locales peuplant les pays limitrophes. "Ils bénéficient d'une part importante de solidarité islamique transfrontalière, car ils sont issus du même peuple peul", rappelle-t-il. Ce n'est donc pas un hasard si les otages français ont rapidement été localisés mardi 19 février 2013 par le ministère camerounais des Affaires étrangères de l'autre côté de la frontière : au Nigeria.
Attirer de nouvelles recrues
Même si l'enlèvement n'a, pour l'heure, pas encore été revendiqué, François Hollande n'a pas hésité à accuser la secte islamiste Boko Haram - "un groupe terroriste que nous connaissons et qui est au Nigeria, et dont des éléments ont été aperçus combattant aux côtés des djihadistes au Mali".
Si la secte a tué des centaines de Nigérians en 2012, elle ne s'est en revanche jamais rendue coupable d'enlèvements de ressortissants étrangers. Ce n'est pas le cas d'un autre groupe islamiste nigérian, Ansaru (Avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire). Créée début 2012, cette faction dissidente de Boko Haram a depuis revendiqué plusieurs enlèvements d'Occidentaux au Nigeria. Le dernier a eu lieu le week-end dernier, lorsque sept employés étrangers de la société de construction libanaise Setraco ont été kidnappés à Jama'are, dans le nord du pays.
"Tandis que Boko Haram suit un agenda local, Ansaru s'inscrit dans une politique régionale, visant à appliquer la charia au-delà du Nigeria", explique Mathieu Guidère*, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse Le Mirail. "Ils n'ont jamais demandé de rançon. Par ces enlèvements, ils cherchent à attirer dans leur filet de nouvelles recrues. Et dans un pays de 160 millions d'habitants comme le Nigeria, le moindre groupe radical peut espérer attirer des milliers d'individus", ajoute le spécialiste d'al-Qaida.
Réponse des djihadistes à Paris
C'est Ansaru qui est derrière l'enlèvement, le 19 décembre dernier, de l'ingénieur français Francis Collomp, dans l'État de Katsina. Le groupe avait cité à l'époque le soutien de la France à la préparation d'une intervention armée au Mali pour justifier la prise d'otages. Interrogé mercredi sur France 2, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a estimé que le lien n'"était pas établi" entre l'enlèvement de sept Français au Cameroun et l'intervention française au Mali.
Ce n'est pas l'avis du spécialiste du Mali, André Bourgeot : "Cet enlèvement est une réponse d'Aqmi à l'intervention au Mali", estime ce directeur de recherche émérite au CNRS. "Sa nouvelle stratégie est d'exporter le djihadisme en se reposant sur des groupes ethniques locaux. S'il n'y a pas de lien organique entre Boko Haram, Aqmi et le Mujao [Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, qui combat au Mali, NDLR], ces groupes frappent par leur flexibilité et leur mobilité. Ainsi, Aqmi montre qu'il peut agir où et quand il veut."
Armin Arefi
(*) Mathieu Guidère vient de publier Les cocus de la révolution (éditions Autrement).
À écouter, ci-dessous, l’émission de France Info « L'influence des djihadistes au Nigeria »