Tribune
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Publié le 17 Avril 2013

Les Imams israéliens de la paix

 

Par Aïssata Ba, ex-membre de l'ONG One

                                                                                                                 

Nous sommes vendredi jour de la prière d'Al djoumaa, sacrée en Islam. Celle où les fidèles sont exhortés à se réunir pour prier à la mosquée, guidés par un imam qui fait suivre son oraison rituelle de prêches dont les thèmes varient d'un vendredi à l'autre.

 

 

Un jour dédié au rapprochement de la communauté musulmane, à l'introspection et la réflexion du croyant sur sa foi, rappelant le dimanche des chrétiens ou le shabbat des juifs.

 

Ce vendredi, en dehors de la recrudescence du nombre de personnes venant prier al djoumaa, un autre évènement attire l'attention à la mosquée de Drancy: la visite d'imams israéliens. Ils sont cinq à avoir fait le déplacement, parmi lesquels figurent: Cheikh Slimane Saad Satel de la ville historique de Jaffa rattachée à Tel-Aviv, Cheikh Djamal Al Oubra de la ville de Rahat, Cheikh Omar Khial de Jdeida, Cheikh Rashad Abu Alhija de Haïfa, ainsi que Cheikh Mohamed Kiwan président de l'organisation des 340 imams israéliens, représentant plus d'un million de musulmans dans l'État d'Israël.

 

Durant notre entretien, l'imam Shikh Mohamed Kiwan, a demandé, non sans humour, à un membre de la délégation, qui faisait l'intermédiaire et interprète, de le laisser s'exprimer directement même si sa maîtrise de l'anglais n'était pas parfaite. Il m'a ainsi exposé son message de paix. Il a affirmé que, pour lui, "c'est un plaisir de se trouver en France, car les imams français leur avaient fait l'honneur de se rendre en Israël en signe de fraternité entre islam de France et islam israélien".

 

Puis il a souligné l'importance de montrer l'intégration des musulmans en Israël, revendiquant à la fois son appartenance à l'islam et sa nationalité israélienne. Il nous a ensuite invités à le suivre dans la salle de la mosquée de Drancy réservée au dîner et a entonné, en arabe, des louanges psalmodiées devant une cinquantaine d'invités sous le charme des chants divins.

 

Hormis les imams, la délégation israélienne comprenait M. Bahig Mansour, Directeur des relations interreligieuses au Ministère israélien des Affaires étrangères et M. Yacov Salamee, directeur de la Division des Affaires religieuses au Ministère israélien des Affaires intérieures.

 

Un planning très chargé devait leur permettre de se rendre dans plusieurs institutions et villes françaises. Le samedi 6 avril, visite des mosquées et écoles musulmanes dans les départements des Hauts-de-Seine et de la Seine-Saint-Denis. Avant cela, ils ont été reçus par le Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) de Paris. Le lundi 8 avril, ils se sont rendus à Toulouse où ils ont rencontré les représentants de la communauté juive du CRIF Toulouse-Midi-Pyérénées.

 

Le mardi, ils sont allés à Marseille avant de rentrer en Israël le mercredi 10 avril. Selon l'imam Chalghoumi, "le but de la venue des imams israéliens est de dire qu'ils vivent ensemble et parlent avec les juifs". D'ailleurs, il a prôné le rôle du dialogue qui a même été le thème du prêche de ce vendredi après la prière Al djoumaa.

 

La veille, le jeudi 4 avril, les imams ont prié dans la résidence de l'ambassadeur d'Israël en France, une première. À leurs côtés se trouvait l'imam Hassen Chalghoumi de Drancy, qui a reçu la délégation des imams israéliens en France à la suite de son voyage avec une délégation d'imams français en Israël, au lendemain de l'affaire Merah.

 

S'il divise au sein de l'islam de France et nourrit des polémiques quant à sa légitimité, l'imam Chalghoumi s'est fait connaître des médias allant jusqu'à publier un ouvrage avec le journaliste David Pujadas pour son engagement dans le dialogue interreligieux. L'imam Chalghoumi nous a accueillis dans son bureau de la mosquée de Drancy pour un entretien, en présence de ses deux gardes du corps. Lorsque l'on a abordé le sujet délicat de la polémique autour de sa personne, il a répondu que tout ce qu'il souhaitait, c'était de poursuivre la diffusion d'un islam universel et ouvert et qu'il n'acceptait pas les critiques l'accusant d'être instrumentalisé à des fins politiques par les Juifs ou Israël pour la seule raison d'avoir fait entrer des Juifs ou Israéliens dans la mosquée.

 

Pour clore l'entretien, il a déclaré: "il ne faut pas mêler religion et politique". Malgré les dissensions qu'il crée au sein de l'islam de France et au-delà, l'imam Chalghoumi poursuit son aventure interreligieuse. Et les actes ne manquent pas. En dehors des voyages d'imams français en Israël et de leurs homologues israéliens en France, il a rencontré le président israélien Shimon Pérès le 10 mars 2013 lors de sa visite en France et dit avoir encore beaucoup d'autres activités à venir.

 

Au-delà des "leaders religieux symboles", les initiatives de proximité

 

Les déplacements et poignées de main symboliques des représentants des différentes religions ont un très grand pouvoir de vulgarisation des relations interreligieuses positives grâce à une forte médiatisation qui cristallise leurs messages de paix aux yeux de la population.

 

À côté, moins connues du grand public et pourtant très actives, se trouvent les initiatives de proximité entreprises par des associations. Elles font un travail de terrain, au quotidien, pour rapprocher les personnes qui vivent ensemble sans vraiment se fréquenter. Leur action donne aux gens les moyens de s'informer, se connaître, se familiariser avec les croyances, traditions, cultures et modes de vie de l'Autre pour prévenir l'ignorance qui conduit parfois sciemment ou inconsciemment à l'indifférence à l'égard de l'Autre, voire à le considérer comme un ennemi.

 

Le Comité interreligieux pour une Éthique Universelle et contre la Xénophobie (CIEUX) agit dans cette logique d'association de proximité. Décrite par son président, Alexandre Vigne, comme une association "peu médiatisée et œuvrant pour le dialogue modeste dans les quartiers", elle a pourtant organisé pas moins de 90 rencontres interreligieuses entre sa création en 2007 et 2013. CIEUX détient 19 antennes en France et se développe maintenant à l'international, notamment, en Israël, au Sénégal et au Burkina Faso.

 

Chez CIEUX, le dialogue de proximité est permis, entre autres, par le travail de jeunes très engagés, comme Yassine Jabri, dont le dévouement aux affaires de la société l'a conduit à se présenter aux législatives à l'âge de 19 ans. En service civique pour CIEUX, Yassine communique sur les réseaux sociaux et sillonne Paris et sa région en quête d'événements interreligieux ou d'opportunités d'étendre le travail de l'association.

 

Tenant à sa démarche citoyenne et laïque, CIEUX est aussi ouverte aux personnes athées et agnostiques. Des religions, à l'absence de religion, au citoyen et l'on a envie de dire: à l'humain, un long chemin vers la paix...