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L'attaque du centre commercial est une tentative frénétique pour les radicaux qui cherchent à prouver qu'ils ne sont pas à bout de forces. Godane a fait assassiner tous les commandants rivaux - dont plusieurs étrangers comme le célèbre Abou Mansour al-Amriki et son ami britannique Oussama al-Britani - qui avaient fini par se détourner de lui à cause de ses excès. Il y a quelques années, les Chebab avaient un moment semblé avoir le potentiel pour reconstituer un gouvernement dans les ruines de la Somalie, qui n'a plus d'État constitué depuis 1991, même si un régime fantôme occupe le siège aux Nations unies. La carte maîtresse des Chebab était le nationalisme après que le pays eut été envahi par les Éthiopiens en décembre 2006 et ils étaient parvenus à regrouper derrière leurs étendards noirs du djihad de nombreux Somaliens qui préféraient, quant à eux, la vieille bannière nationale bleue à étoile blanche.
Mais en 2008, l'armée éthiopienne a évacué le pays, Aden Hashi Ayro, chef des Chebab à l'époque a été tué par un drone américain et Godane l'a remplacé. Sous son égide, les combattants étrangers ont commencé à affluer et à imposer une nouvelle vision des choses. Il ne s'agissait plus désormais simplement de reconstituer une république islamique, mais d'instaurer une dictature théocratique d'une absolue rigidité. La population effarée avait commencé à se demander d'où sortaient ces Savonarole musulmans qui, en plus, n'étaient même pas somalis. Les Somalis n'aiment guère les étrangers, même lorsqu'ils prétendent leur vouloir du bien, ainsi que les soldats américains s'en sont rendu compte lorsqu'ils ont tenté d'aider à soulager la famine en 1992-1993 et qu'ils se sont trouvés transformés en cibles vivantes. Les combattants djihadistes arabes qui étaient venus apporter la bonne parole islamiste en Somalie ont fini de la même manière, en exaspérant ceux qu'ils souhaitaient convertir.
En à peine deux ans, les Chebab, qui avaient tenu en 2008 près de 75 % du territoire du pays, ont vu leur influence s'effondrer. Et le clivage entre nationalistes modérés et internationalistes extrémistes a fini par aboutir en juin dernier à une véritable guerre de factions entre les deux groupes où Godane a tué ses ennemis et forcé son ex-mentor Hassan Dawir Aweys à se rendre au gouvernement «officiel» de Cheikh Mohamoud à Mogadiscio. Mais c'était là un triomphe à la Pyrrhus. Le «triomphe» de Godane s'érigeait sur une pile de décombres. En 2009-2010, les Chebab avaient peu à peu perdu le contrôle de la capitale puis ensuite de larges régions reconquises par les forces panafricaines de la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom). En 2011, le Kenya, las des fréquentes incursions qui impactaient son industrie touristique, avait décidé de rejoindre l'Amisom et d'envoyer lui aussi un contingent militaire en Somalie, le long de sa frontière, dans le but de créer une zone tampon. Ce à quoi il parvint partiellement en occupant Kismaayo, le meilleur port somalien, mais en n'arrivant pas à créer le gouvernement fantoche qu'il espérait dans cette région sud. Demi-succès donc, mais avec très peu d'affrontements (c'étaient les autres contingents, ougandais, burundais et éthiopiens, qui s'étaient battus). La victoire de Godane et de ses compagnons djihadistes est une victoire par défaut. Il y a huit jours, une docte assemblée de cent soixante docteurs de la loi musulmane réunis à Mogadiscio a même fini par proclamer que l'enseignement des Chebab constituait une bidaa (innovation hérétique) et qu'en conséquence ils devaient être retranchés de l'Oumma, la communauté des croyants.
Ce sont ces vaincus qui viennent de tenter un coup de poker désespéré à Nairobi pour essayer de se «refaire». Cela veut-il dire qu'on n'entendra plus jamais parler d'eux? Malheureusement pas. Mais leur capacité de nuisance est sur le déclin. Si vous voulez vous faire du souci quant à l'islam radical en Afrique, regardez plutôt du côté du Nigeria. Là-bas, depuis le 17 septembre, les fanatiques de Boko Haram ont tué plus de deux cents personnes. Mais c'étaient des paysans africains pauvres et il n'y avait pas un Blanc ou un étranger impliqué. La presse n'en a pas parlé.