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Combien existe-t-il de «loups solitaires» semblablesà Mohamed Merah et à Mehdi Nemmouche, l'auteur présumé de la tuerie de Bruxelles?
Loïc Garnier : Je n'aime pas cette expression de «loup solitaire», qui contient en elle un romantisme tout à fait déplacé quand on parle de terroristes. Je préfère parler d'acteurs isolés qui ne sont pas forcément sortis du territoire et qui rêvent de frapper quand et où ils le voudraient. Aujourd'hui en France, plusieurs centaines de gens potentiellement dangereux ou exprimant des velléités de départ vers le djihad sont sous surveillance. C'est une question majeure de sécurité, mais aussi un enjeu de santé publique puisque nous sommes face à un nombre important de très jeunes individus qui n'imaginent pas qu'ils vont mettre en jeu leur vie et leur santé mentale…
Environ 320 volontaires français combattent en Syrie. Avez-vous les moyens de savoir ce qu'ils y font?
À la frontière turco-syrienne, ils sont pris en charge par des passeurs qui les remettent sans peine entre les mains de structures combattantes avec lesquelles ils ont des contacts familiaux, amicaux ou géographiques. Ils subissent alors un véritable processus d'évaluation visant à éprouver la sincérité de leur engagement, leur potentiel physique et opérationnel, leurs connaissances des textes sacrés. Ils suivent ensuite des cours religieux et de maniement des armes légères. En général, la durée de ces «stages» varie très largement de deux semaines jusqu'à un mois, voire un mois et demi avant qu'ils soient directement envoyés au combat ou affectés à des tâches «subalternes». Liées à la logistique, celles-ci peuvent consister notamment à la garde de prisonniers ou d'otages. Seule une minorité est appelée à devenir des «kamikazes», à l'image de ceux qui se sont illustrés en Syrie, mais aussi en Irak…
Armés et formés, ils présentent donc une réelle menace à leur retour en Europe?
Nous pouvons le craindre. Les conséquences de ces séjours en Syrie sont très négatives, car les individus qui en reviennent sont globalement plus dangereux. Ils auront commis ou assisté à des exactions parfois terribles, ont fait la guerre dans des conditions de sauvagerie extrême. En conséquence, ils affichent un degré de tolérance à la violence que l'on ne connaît pas dans notre société occidentale. Pour eux, le curseur est monté de plusieurs crans, au point que tuer est devenu un acte presque banal. Par ailleurs, nous allons être confrontés au retour de jeunes présentant de réels risques psychologiques, en proie à de graves symptômes post-traumatiques, semblables à ceux des vétérans d'Afghanistan ou du Vietnam. Faute d'une prise en compte efficace, nous pouvons redouter la survenue de comportements tout à fait imprévisibles et violents.
Ce sont donc autant de bombes à retardement?
Nous savons que certains jeunes individus, des djihadistes européens parmi lesquels figurent des Français, sont pris en charge par des cadres d'al-Qaida qui les entraînent dans le but de mener des attentats en Europe. Sélectionnés sur des critères notamment linguistiques, sur leurs capacités à se fondre parmi la population occidentale et à frapper le moment venu avec toute la détermination nécessaire, ils apprennent les techniques de fabrication de bombes artisanales, l'art de la dissimulation et tout le sang-froid voulu pour commettre un attentat suicide. Ayant fait l'objet d'un «lavage» de cerveau, ils ne sont plus dans un combat contre Bachar le dictateur, mais aux sources de la dialectique d'al-Qaida qui dit: «Là où tu es, frappe le mécréant, frappe l'apostat.» Nous sommes face à une menace protéiforme, à un phénomène que l'on n’a jamais connu. C'est aujourd'hui notre plus grande inquiétude… Lire la suite.