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Le ministre de l’Intérieur a parfaitement raison, Merah n’était pas un loup solitaire. Que savons-nous à ce sujet ?
Rappel du profil du tueur et de sa logistique matérielle et idéologique
Dans son édition du 20 octobre 2012, en Une Le Monde titre : « Merah : l’incroyable raté des services secrets ». Le Monde révèle qu’il a eu accès aux notes de la DCRI. Surprise : le renseignement savait tout du profil du tueur de Toulouse. De fait l’ex-patron de la DCRA serait selon le quotidien du soir, « en difficulté. »
Qu’apprend-t-on?
1. La DCRI avait identifié Merah comme islamiste dès 2006, puis comme «cible privilégiée» début 2011.
2. Sur la base de rapports contradictoires, elle a fini par minimiser sa dangerosité.
3. Or, après son interpellation à Kandahar, bastion islamiste afghan, en novembre 2010 et après le retour d’Afghanistan de Mohamed Merah, le 7 janvier 2011, la DCRI demande une enquête.
4. Finalement, La DCRI était informée, avait identifié et localisé Mohamed Merah comme « membre actif de la mouvance islamiste radicale de Toulouse ».
5. Une autre note, le 11 janvier, affine le portrait d’un «délinquant récidiviste», qui «fréquente la mouvance radicale toulousaine» de même que son frère Abdelkader et sa sœur Souad.
6. Le 8 mars une note à peu près identique précise que Merah a « fréquenté la mouvance radicale » notamment « par les relations qu’il entretient avec X (le nom est barré, ndlr), leader de la mouvance islamiste radicale toulousaine ».
7. Le 26 avril, la DCRI fait état du « comportement paranoïaque » de Merah. Cette note est particulièrement éloquente, note Le Monde. Les policiers sont remontés à la période qui précède son grand voyage en Asie et au Moyen-Orient. En juin 2010, il « demandait régulièrement aux personnes qu’il fréquentait l’autorisation de faire chez eux la prière. À la même époque, il a fait preuve d’un comportement particulièrement violent à l’égard [d’une mère et de sa fille] leur reprochant d’avoir manqué de respect à un musulman. Merah s’est révélé être adepte de chants glorifiant l’extermination des ‘‘mécréants occidentaux’’. Il regarde « des courts métrages […] mettant en scène l’assassinat de soldats américains par des terroristes ». Sur une photo, il brandit un couteau devant un Coran. Mohamed Merah est-il alors si éloigné des « cas de figure connus », comme l’affirme l’ex-patron du renseignement ? Car, contrairement à ce qu’assure Bernard Squarcini, Mohamed Merah renoue avec les salafistes toulousains au printemps 2011, mais aussi avec son frère Abdelkader et un autre homme, assidus aux « cours de religion programmés en soirée à la Reynerie», un quartier de Toulouse.
8. En juin, elle lève un coin du voile sur le financement de ses activités et voyages. Lorsqu’il était en détention, Merah « a reçu de l’argent principalement de X, figure de la mouvance salafiste ». En juillet, son radicalisme ne semble plus faire de doute pour la DCRI qui le décrit comme un «islamiste» qui «entretient des contacts réguliers depuis son retour avec X et deux autres piliers de la mouvance salafiste radicale locale.
9. Dans un rapport de septembre, la famille Merah est située en bonne place dans la «nouvelle génération» islamiste radicale. Merah est «cible privilégiée du service», la DCRI s’attend à «un nouveau départ en octobre vers le Pakistan». Il s’y envole le 19 août. Mais les fonctionnaires de la DCRI qui se rendent chez lui en octobre pour le convoquer à un «entretien» l’ignorent et sont surpris de ne pas l’y trouver. À son retour, c’est un Merah «fatigué» par une hépatite mais «courtois» qui se rend le 14 novembre, à «l’entretien» décidé «devant le manque d’éléments probants établissant un éventuel profil djihadiste» de Merah.
Depuis la mort de Merah, la PJ travaille à identifier la logistique matérielle et idéologique dont disposait le tueur. Ces nouvelles données doivent en effet permettre de comprendre comment s’est « fabriqué » ce tueur. Entre le 1er septembre 2010 et le 20 février 2011, 186 communications téléphoniques ont été émises vers l’étranger, sur un total de 1 863 (ces chiffres comprennent à la fois des conversations, l’envoi de textos et des appels vers la messagerie) (1). Plusieurs précisions s’imposent (1).
1. Le numéro a toujours émis depuis Toulouse. L’expertise de la puce téléphonique montre que son propriétaire l’a introduite dans différents portables (4 boîtiers), sans doute pour éviter d’être repéré. La localisation du numéro prouve qu’il n’a été utilisé qu’à Toulouse, dans les quartiers de Bellefontaine, Basso Cambo et Pradettes, non loin du domicile de la mère de Merah. La ligne est d’ailleurs à son nom.
2. Le numéro a sans doute été utilisé par le noyau dur d’islamistes toulousains proches de Mohamed Merah. La DCRI revient d’ailleurs sur la composition de cette mouvance salafiste et pointe les liens de celle-ci « avec le djihadisme français et étranger ».
3. Merah n’était pas le seul à utiliser ce numéro. La chronologie le prouve. Entre septembre et décembre 2010, alors que le portable émet depuis Toulouse, le jeune homme se trouve au Proche-Orient (Syrie, Turquie, Liban, Irak, Jordanie, Israël, Égypte...), puis au Moyen-Orient (Afghanistan), à la recherche de « frères » qu’il n’aurait pas trouvés. Il ne rentre à Toulouse que vers la mi-octobre 2010. Une semaine plus tard, le 29 octobre, il repart pour l’Afghanistan, où il est contrôlé par la police afghane et remis aux Américains, le 22 novembre, à Kandahar. Dès lors, à Toulouse, le fameux numéro est en surchauffe. En l’espace de cinq jours, près de 60 textos sont envoyés. Merah rentre France le 5 décembre 2010 (2). La personne qui utilisait le portable en son absence n’a pas été identifiée.
4. 186 appels provenant de l’étranger ont été reçus. Des correspondants non identifiés appellent depuis 20 pays différents, en particulier depuis la Grande-Bretagne, l’Algérie (où vit le père de Mohamed Merah) et l’Égypte (où séjourne à cette époque son frère Abdelkader). Mais apparaissent aussi des lieux aussi divers que l’Arabie Saoudite, la Bolivie, la Côte d’Ivoire, la Croatie, les Émirats arabes unis, l’Espagne, Israël, le Kazakhstan, le Kenya, le Laos, le Maroc, la Roumanie, la Russie, Taïwan, la Thaïlande, la Turquie et le Bhoutan. Ces correspondants, et la raison de ces multiples échanges, n’ont pas encore été identifiés.
Notes :
1. Laurent Borredon et Emeline Gazi, « La DCRI en échec devant le terroriste Merah », Le Monde, 20 octobre 2012 et « La DCRI a baissé la garde après avoir fait de Merah une «cible privilégiée », Le Nouvel observateur, 20 octobre 2012.
2. Yves Bordenave, « Mohamed Merah, un loup pas si solitaire », Le Monde, 23/8/2012, et Éric Peletier, « Ce que nous apprennent les appels téléphoniques de Mohamed Merah », L’Express, 24/8/2012.
Voir à ce sujet : Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013, Paris, janvier 2013, Berg International Editeurs, 350 pages.