Tribune
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Publié le 12 Septembre 2013

Mein Kampf : la question de l'intérêt de cet ouvrage qui prône un racisme d'État

Par Blandine Le Cain

 

Le livre politique d'Hitler a été retiré des rayons d'un espace culturel après la plainte d'un client. Ce retrait, après d'autres, que la loi n'impose pas, pose la question de l'intérêt de cet ouvrage qui prône un racisme d'État.

Légale, mais controversée. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la vente de Mein Kampf, ouvrage antisémite écrit par Adolf Hitler pendant son année de prison en 1923. Mercredi, le livre a été retiré de l'espace culturel du centre commercial de Saint-Amand-les-Eaux, dans le Nord. Sans injonction juridique, mais après le signalement d'un client au propriétaire du centre commercial, comme le raconte La Voix du Nord , le livre a été remplacé dans l'heure par... une biographie de Staline. En juin, un libraire du Pas-de-Calais avait déjà dû retirer l'ouvrage de ses étals à la suite d'une initiative du Front de gauche local.

 

Ces retraits précipités sont devenus monnaie courante. Pourtant, la législation française n'interdit aucunement la commercialisation de Mein Kampf, depuis un arrêt de 1979 rendu par la cour d'appel de Paris. Saisie par des associations antiracistes qui souhaitaient faire interdire l'ouvrage, la cour avait tranché en autorisant la vente, au motif qu'il s'agit d'un «document indispensable pour la connaissance de l'histoire contemporaine». Sous réserve, cependant, que toute publication soit assortie d'un texte d'avertissement présentant le contexte historique et rappelant les crimes commis au nom de cette doctrine.

 

«Le retrait rajoute une aura autour du livre»

 

Mais peut-on mettre l'ouvrage clairement en avant, comme cela était le cas à Saint-Amand? «Le problème est symbolique», résume Antoine Vitkine, journaliste et auteur de l'ouvrage Mein Kampf, histoire d'un livre. «On peut concevoir qu'on n'ait pas envie de voir cet ouvrage mis en avant dans des librairies généralistes. Mais d'un point de vue légal, Mein Kampf est autorisé à la vente.» Ainsi, rien n'interdit de faire ressortir la couverture orange des Nouvelles Éditions Latines, seule maison à disposer des droits actuellement, parmi les livres en vente. L'ouvrage doit seulement être proposé dans les rayonnages consacrés à l'histoire.

 

Reste que les tentatives de retrait ou d'interdiction renforcent généralement l'intérêt qui y est apporté. «Ça rajoute une aura autour du livre», confirme Antoine Vitkine, bien qu'aucun élément ne permette de réellement quantifier ces influences. Évaluer l'audience de ce livre reste compliqué. Les Nouvelles Éditions Latines affirment au Figaro vendre «entre 300 et 400» éditions par an, «500 dans les bonnes années». «Il est difficile de savoir qui achète ce livre», indique le spécialiste. «Il y a évidemment des curieux, ainsi que des étudiants et des enseignants.» Il présume qu'il y a «sans doute aussi des personnes racistes et antisémites», mais ne voit pas dans l'ouvrage un risque réel de propagation des idées.

 

Un argument contre le négationnisme

 

Le livre n'est d'abord pas particulièrement facile à lire. «Toute une partie traite de la République de Weimar, dans des termes juridiques complexes», souligne Antoine Vitkine. Sur le fond également, l'auteur nuance le caractère dangereux de l'ouvrage. «Le texte est violent, mais c'est en quelque sorte un antidote contenu dans le poison», précise-t-il. Les thèses développées sont tellement virulentes qu'elles «rappellent ce à quoi elles ont donné naissance», et elles sont surtout «un argument de poids contre les négationnistes». Dans Mein Kampf, Hitler aborde point par point ce qu'il mettra en place une fois arrivé au pouvoir, de l'invasion de l'URSS à l'extermination des juifs.

 

En 2016, l'ouvrage passera dans le domaine public. Une étape juridique qui ne devrait pas changer grand-chose à sa commercialisation en France, où la question des droits d'auteur concerne surtout la traduction. Une version enrichie de documents et explications serait en préparation chez Fayard. Pour Antoine Vitkine, tenter d'interdire l'ouvrage ou de restreindre sa vente serait une erreur. «C'est assez ironique, mais avant-guerre, la question était presque la même. En France, le maréchal Lyautey avait écrit dans la préface du livre: “Tout Français doit lire ce livre”, pour mettre en garde contre Hitler.»