English
Français
Est-ce à dire que les islamistes ne peuvent plus compter que sur un coup d'éclat de «loups solitaires»?
Tout à fait, car, à force d'essuyer des coups de boutoir, les réseaux terroristes sont maintenant désorganisés. Rappelons que 90% des forces d'al-Qaida ont été détruites entre 2002 et 2012. Le relais a été pris par des groupes locaux, comme Aqmi au Maghreb, Aqpa dans la péninsule arabique, Abou Sayyaf aux Philippines ou encore LeT au Pakistan. Mais ces organisations, d'une envergure régionale, ont pour objectif de frapper dans leur zone. Elles ne sont pas capables d'exporter le conflit. En Europe notamment, nous sommes donc confrontés à des actions individuelles, difficilement prévisibles et ne pouvant a priori plus se traduire par une attaque d'ampleur.
Qui sont alors ces soldats isolés agissant «au nom d'Allah»?
Essentiellement des individus qui ont subi un phénomène d'autoradicalisation, dont l'affaire Merah (djihadiste autoproclamé qui a tué sept personnes à Toulouse et Montauban en 2012, NDLR) est l'une des meilleures illustrations. Les unités antiterroristes sont face à des individus inconnus des services de renseignements, n'ayant pas de casier judiciaire ou étant connus pour des petites affaires de droit commun, qui ne sont jamais allés au Moyen-Orient et qui cristallisent leur haine du monde occidental en fréquentant les mosquées fondamentalistes ou en surfant sur Internet. Nous évoluons dans un univers chaotique où la frontière entre délinquance classique et terrorisme est devenue très mince. Lorsque ces fanatiques estiment que leurs frères musulmans sont trop persécutés à travers le monde, la coupe déborde et ils passent à l'action. Là encore, la limite entre l'acte psychiatrique et la violence politique devient ténue.
Et cette «génération spontanée» passe à l'action avec des moyens de plus en plus rudimentaires?
Ou avec une machette ou un couteau comme à Londres. Ou avec un scooter et un colt 45, comme à Toulouse et Montauban. Le principe est que la terreur soit omniprésente et qu'elle s'exprime sous n'importe quelle forme. Peu importe la logistique. Dans leur lutte aveugle contre l'Occident, des illuminés peuvent même agir avec une simple allumette. En déclenchant des grands incendies de forêt, comme cela a été soupçonné en Californie. La menace a été théorisée. Finalement, la grande victoire posthume de Ben Laden est qu'il a soulevé un incontrôlable mouvement de fantassins à travers le monde.
Des fantassins en quête de notoriété, comme les deux agresseurs de Londres qui ont laissé filmer leur geste?
La publicité va de pair avec le terrorisme. Merah s'est mis en scène tout seul, en filmant ses assassinats grâce à une caméra sanglée sur le thorax. Le tueur au scooter répondait à la même logique que les deux illuminés interpellés à Londres. Nul doute que ces derniers souhaitent qu'une ou plusieurs vidéos de leur «exploit» soient diffusées sur Internet, pour faire d'eux des martyrs, des modèles inspirant d'autres candidats aux meurtres et aux assassinats. Chaque terroriste veut son heure de gloire.
Une telle «attaque terroriste», comme l'a qualifiée David Cameron, peut-elle se produire en France?
Évidemment. Mais notre problème est qu'à mes yeux, les services français ne sont pas en mesure d'anticiper la menace. La réforme du renseignement intérieur et la création de la DCRI étaient à la base une erreur. Car en ne s'intéressant qu'au haut au spectre, les policiers spécialisés se sont coupés du terrain et notamment des banlieues. C'est-à-dire là où pousse en germe le terrorisme de demain. Au sein du renseignement français, il faut, hélas, constater une rupture dans le suivi du continuum existant entre les phénomènes de radicalisation dans les cités et le passage à l'action terroriste.