Tribune
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Publié le 16 Juillet 2014

Ne pas tolérer l’antisémitisme dans les rues françaises

Par Arno Klarsfeld, ancien Avocat des Fils et Filles de Déportés Juifs de France, publié dans le Monde le 16 juillet 2014

A la veille du 14-Juillet, au pied du Génie de la Bastille, des centaines de jeunes se sont rués rue de la Roquette et dans les rues avoisinantes, armés de barres de fer, à la recherche de juifs à lyncher. Ils ont tenté de pénétrer dans la synagogue de la rue de la Roquette, et si de jeunes juifs courageux n'étaient parvenus à tenir l'entrée, aidés par la suite par les forces de l'ordre, on peut imaginer le sort réservé aux fidèles présents à l'intérieur…

Jamais un tel événement ne s'était produit en France depuis le Moyen Âge. Jamais. Certes, il y avait eu les attentats contre les synagogues, commis par la Cagoule en 1941, mais ils avaient été perpétrés par un petit groupe d'individus afin que l'on crût que la population française était antisémite – ce qui n'était pas le cas. Mais jamais des centaines d'individus de nationalité française n'avaient tenté, en France, de prendre d'assaut une synagogue. C'est inédit, et nulle part ailleurs actuellement en Europe cela ne se produit.

La situation aujourd'hui est paradoxale : la France n'est pas antisémite, mais le noyau dur de l'extrême droite l'est vigoureusement, comme une partie de l'extrême gauche, qui déteste Israël, et une partie de la jeunesse des banlieues, qui, hier, à la Bastille, fournissait le gros des troupes.

Non, la France n'est pas antisémite, les Juifs en France peuvent accéder, selon leurs mérites, à tous les postes et à tous les honneurs, et les gouvernements de droite ou de gauche ont toujours les formules qu'il convient pour dénoncer et fustiger l'antisémitisme. Mais cette mobilisation verbale ne suffit pas, ne suffit plus, pour endiguer le mal.

J'avais dit il y a plus de trois ans qu'une vague fondamentaliste traversait le monde musulman, et que cette vague touchait aussi la France par endroits. Combien de reproches m'ont alors été adressés ! Depuis, il y a eu Merah, les soldats de la République, les enfants juifs assassinés à Toulouse et la tuerie du Musée juif de Bruxelles par un tueur islamiste français.

De nombreux « bien-pensants » admettent que l'on dénonce l'antisémitisme, mais à la condition qu'il provienne de l'extrême droite. Or tous les attentats meurtriers commis en France ces dernières décennies ont été commis soit par des islamistes, soit par des terroristes venus du Proche-Orient.

Ceux qui assassinent les Juifs aujourd'hui en Europe – les islamistes comme Mohammed Merah ou Mehdi Nemmouche –, ceux qui maltraitent les enfants juifs dans les écoles de la République, agressent les Juifs dans les transports en commun ou dans la rue parce qu'ils portent une kippa, lancent des cocktails Molotov contre des synagogues, ne le font pas sur ordre d'un État ou d'une entité : ils le font de leur propre initiative, poussés par la haine antijuive qui leur a été inoculée.

La haine antijuive des islamistes est profonde et puissante. Elle prend sa force dans une pulsion religieuse absolument intolérante. Elle s'alimente dans le refus d'un État d'Israël – État juif libre et fort au Proche-Orient – qui est vécu comme une tumeur par une partie des musulmans. Elle s'alimente aussi d'une haine de l'Occident, dans lequel ils estiment que les Juifs jouent un rôle de démiurges.

Cette propagande antijuive, qui prend sa source au Proche-Orient et qui trouve ses relais en Europe, fait que des jeunes issus de l'immigration maghrébine peuvent assassiner, en en tirant des motifs de joie et de fierté, des enfants juifs à Toulouse ou des touristes juifs à Bruxelles. D'autres jeunes issus eux aussi de l'immigration peuvent prendre comme cible de leur crime de droit commun un jeune juif comme Ilan Halimi, torturé pendant des jours et des nuits parce que la victime est un Juif, et que le Juif c'est l'ennemi : il est riche et soutient Israël.

Si on considère l'Histoire d'un point de vue logique, l'avenir est sombre en France pour les Juifs, pris en tenaille entre une population musulmane qui s'accroît, et au sein de laquelle s'accroît l'antisémitisme, et une extrême droite qui gagne en influence en raison de la crise et chez qui l'antisémitisme est toujours présent parmi nombre de ses cadres et dans le tréfonds de son idéologie.

Mais l'Histoire n'est pas toujours logique. Et ce n'est pas parce qu'une situation est périlleuse qu'elle se révélera catastrophique. L'Histoire est ce qu'en font les hommes.

Que faire ? Il convient de restaurer l'autorité de l'État, mise à mal dans de nombreuses banlieues, et montrer que la République sera inflexible face à l'intolérance, qu'elle mobilisera ses forces – et pas seulement ses mots. Que le pouvoir soit de droite ou de gauche, cela est indifférent. Si l'on s'est trompé, il n'y a pas de mal à corriger. Si une idéologie n'est plus en phase, il convient de l'adapter… Lire la suite.