Tribune
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Publié le 9 Juillet 2013

Non, l'islam n'est pas la solution

Par Renaud Girard

 

Au Moyen-Orient, cela  fait plus de trente ans que les formations politiques affiliées aux Frères musulmans font campagne avec un slogan très simple : «L'islam est la solution!» Sous cet étendard, elles ont combattu avec succès les régimes nationalistes, socialistes  et laïcs issus de la décolonisation.  

Le combat ne fut pas trop dur, car ces derniers avaient échoué à la fois dans leur nationalisme, dans leur socialisme et dans leur laïcité. En matière de nationalisme, les États arabes  ne s'étaient pas montrés capables de remporter la moindre victoire militaire sur Israël, l'ennemi sans cesse voué  aux gémonies. En matière de socialisme, les régimes autoritaires avaient détruit l'économie «bourgeoise» ancienne, sans être capables d'en susciter une nouvelle qui soit un tant soit peu efficace. En matière de laïcité, les raïs, ces présidents tout-puissants, n'avaient pas réussi à séparer le religieux du politique, car d'innombrables citoyens,  faute de pouvoir s'exprimer librement politiquement, s'étaient progressivement réfugiés dans le religieux.

                                                                                                       

Depuis sa fondation en 1928 par l'instituteur égyptien Hassan al-Banna, pourfendeur des mœurs occidentales héritées des Britanniques, la Confrérie islamiste n'a cessé d'améliorer la puissance de son opposition aux régimes en place. De sa plongée forcée en clandestinité pendant la dictature  de Nasser, elle est ressortie avec une organisation d'acier. Présentées comme filles de l'islam, l'honnêteté et la frugalité réelles des dirigeants de la Confrérie n'ont cessé d'accroître leur popularité dans un État où s'étalait de plus en plus  la corruption de la nomenclature  au pouvoir. En s'emparant, à partir  des années 1980, du social, délaissé  par les ministères, en allant prendre  en charge la veuve et l'orphelin  dans les quartiers les plus défavorisés,  les Frères ont montré qu'ils prenaient  au sérieux la zakat, l'aumône légale, l'une des cinq obligations de l'islam.

 

Honnêtes et charitables, les Frères musulmans ont pu faire croire qu'ils étaient vraiment les serviteurs du Bon Dieu. Tout naturellement, lorsqu'ils sont ensuite revenus dans la sphère politique en proclamant «l'islam est la solution!», la population, à la fois peu instruite  et très religieuse, a eu tendance à les croire. Comment des hommes de Dieu pourraient-ils mal faire? En Tunisie  et en Égypte, après le renversement  des raïs, les Frères musulmans ont gagné les élections pour deux raisons: ils étaient les seuls à être bien organisés  et leur crédit moral était intact.

 

Du Caire, où je me trouve actuellement, je me suis demandé pourquoi ils ont mis si peu de temps  à se faire détester par des foules encore plus importantes que celles qui avaient destitué Moubarak. Économiquement,  ils se sont montrés d'une incompétence crasse. On ne gouverne pas un pays comme on gère une boutique du bazar. Dans le monde moderne, il y a des choses qui s'appellent la valeur ajoutée,  la balance des paiements, la vitesse  de circulation de la monnaie, etc.  Faute de maîtriser ces notions, un gouvernement a peu de chances de créer un environnement économique stable, capable d'attirer des entrepreneurs  et donc de créer de la richesse.  En Égypte, le gouverneur de la Banque centrale, un technocrate compétent, n'avait personne à qui parler au sein  du palais présidentiel dirigé par Morsi…

 

Politiquement, les Frères musulmans n'ont pas voulu saisir toute l'étendue  du mot «démocratie». Cette dernière  ne se résume pas au suffrage universel, elle inclut aussi la notion d'État de droit. Rendus fous par le goût suave  du pouvoir, les Frères se sont mis  à se goinfrer. Dans sa «déclaration constitutionnelle» du 22 novembre 2012 - qui marque le début de sa fin -, l'ex-président égyptien Mohammed Morsi  ne s'était pas contenté de s'arroger  tout le pouvoir législatif ; il a voulu aussi écarter toute possibilité de contrôle judiciaire de ses décrets.

 

Le bilan de l'islamisme dans la gestion des États musulmans depuis trente ans (Pakistan, Iran, Soudan) ou depuis un an (Tunisie, Égypte) est calamiteux à tous égards. Quant aux monarchies du Golfe, tout ce qui y fonctionne bien provient d'Amérique. Gouverner au nom  de Dieu est une illusion. Seul existe  le gouvernement des hommes. La force  de l'Occident est fille de son principe  de séparation du politique et du religieux, lui-même issu du célèbre «Rendez à César ce qui appartient à César» du Christ.

 

Le monde musulman ne connaîtra  de développement politique  et économique harmonieux  que lorsqu'il aura renoncé à l'illusion  du «gouvernement de Dieu» et qu'il aura enfin renvoyé l'islam à la sphère privée.