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Le combat ne fut pas trop dur, car ces derniers avaient échoué à la fois dans leur nationalisme, dans leur socialisme et dans leur laïcité. En matière de nationalisme, les États arabes ne s'étaient pas montrés capables de remporter la moindre victoire militaire sur Israël, l'ennemi sans cesse voué aux gémonies. En matière de socialisme, les régimes autoritaires avaient détruit l'économie «bourgeoise» ancienne, sans être capables d'en susciter une nouvelle qui soit un tant soit peu efficace. En matière de laïcité, les raïs, ces présidents tout-puissants, n'avaient pas réussi à séparer le religieux du politique, car d'innombrables citoyens, faute de pouvoir s'exprimer librement politiquement, s'étaient progressivement réfugiés dans le religieux.
Depuis sa fondation en 1928 par l'instituteur égyptien Hassan al-Banna, pourfendeur des mœurs occidentales héritées des Britanniques, la Confrérie islamiste n'a cessé d'améliorer la puissance de son opposition aux régimes en place. De sa plongée forcée en clandestinité pendant la dictature de Nasser, elle est ressortie avec une organisation d'acier. Présentées comme filles de l'islam, l'honnêteté et la frugalité réelles des dirigeants de la Confrérie n'ont cessé d'accroître leur popularité dans un État où s'étalait de plus en plus la corruption de la nomenclature au pouvoir. En s'emparant, à partir des années 1980, du social, délaissé par les ministères, en allant prendre en charge la veuve et l'orphelin dans les quartiers les plus défavorisés, les Frères ont montré qu'ils prenaient au sérieux la zakat, l'aumône légale, l'une des cinq obligations de l'islam.
Honnêtes et charitables, les Frères musulmans ont pu faire croire qu'ils étaient vraiment les serviteurs du Bon Dieu. Tout naturellement, lorsqu'ils sont ensuite revenus dans la sphère politique en proclamant «l'islam est la solution!», la population, à la fois peu instruite et très religieuse, a eu tendance à les croire. Comment des hommes de Dieu pourraient-ils mal faire? En Tunisie et en Égypte, après le renversement des raïs, les Frères musulmans ont gagné les élections pour deux raisons: ils étaient les seuls à être bien organisés et leur crédit moral était intact.
Du Caire, où je me trouve actuellement, je me suis demandé pourquoi ils ont mis si peu de temps à se faire détester par des foules encore plus importantes que celles qui avaient destitué Moubarak. Économiquement, ils se sont montrés d'une incompétence crasse. On ne gouverne pas un pays comme on gère une boutique du bazar. Dans le monde moderne, il y a des choses qui s'appellent la valeur ajoutée, la balance des paiements, la vitesse de circulation de la monnaie, etc. Faute de maîtriser ces notions, un gouvernement a peu de chances de créer un environnement économique stable, capable d'attirer des entrepreneurs et donc de créer de la richesse. En Égypte, le gouverneur de la Banque centrale, un technocrate compétent, n'avait personne à qui parler au sein du palais présidentiel dirigé par Morsi…
Politiquement, les Frères musulmans n'ont pas voulu saisir toute l'étendue du mot «démocratie». Cette dernière ne se résume pas au suffrage universel, elle inclut aussi la notion d'État de droit. Rendus fous par le goût suave du pouvoir, les Frères se sont mis à se goinfrer. Dans sa «déclaration constitutionnelle» du 22 novembre 2012 - qui marque le début de sa fin -, l'ex-président égyptien Mohammed Morsi ne s'était pas contenté de s'arroger tout le pouvoir législatif ; il a voulu aussi écarter toute possibilité de contrôle judiciaire de ses décrets.
Le bilan de l'islamisme dans la gestion des États musulmans depuis trente ans (Pakistan, Iran, Soudan) ou depuis un an (Tunisie, Égypte) est calamiteux à tous égards. Quant aux monarchies du Golfe, tout ce qui y fonctionne bien provient d'Amérique. Gouverner au nom de Dieu est une illusion. Seul existe le gouvernement des hommes. La force de l'Occident est fille de son principe de séparation du politique et du religieux, lui-même issu du célèbre «Rendez à César ce qui appartient à César» du Christ.
Le monde musulman ne connaîtra de développement politique et économique harmonieux que lorsqu'il aura renoncé à l'illusion du «gouvernement de Dieu» et qu'il aura enfin renvoyé l'islam à la sphère privée.