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Tandis que la République islamique et le groupe des 5+1 (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne) se retrouvent ce mardi à Almaty, au Kazakhstan, pour relancer le processus de négociations arrêté en juin 2012, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a révélé jeudi dans son rapport que l'Iran avait installé au début du mois de février de nouvelles centrifugeuses à Natanz. Or, à peine quelques jours auparavant, la République islamique avait quelque peu rassuré la communauté internationale en annonçant qu'elle avait converti une partie de son uranium enrichi à 20 % pour servir de combustible à son réacteur de recherche de Téhéran.
La "ligne rouge" d'Israël
Une nouvelle importante, ce processus réduisant de fait le stock d'uranium disponible pour la mise au point d'armes atomiques, dont l'Occident soupçonne Téhéran. "Ce n'est pas un geste de bonne volonté, mais un signe de prudence", rectifie un diplomate occidental participant aux négociations à Almaty. "L'Iran fait tout pour rester loin de la ligne rouge fixée par Israël", précise-t-il, tout en admettant que "c'est la première fois que la République islamique effectue un tel geste de prise en compte de l'environnement extérieur".
D'après l'AIEA, l'Iran disposerait aujourd'hui d'un stock d'uranium enrichi à 20 % de 167 kilos. Premier pourfendeur du programme nucléaire iranien, qui menace d'après lui sa survie, Israël a fixé sa propre "ligne rouge" à 240 kilos. Craignant que la République islamique ne possède pas suffisamment de stock dans son usine souterraine de Fordo - à l'abri donc de frappes aériennes - pour décider le moment venu de construire la bombe en toute sécurité, l'État hébreu a indiqué à plusieurs reprises qu'il n'hésiterait pas à attaquer les sites nucléaires iraniens si la limite était dépassée.
La diplomatie de Washington
Une vision que ne partage pas Washington. En dépit des pressions de son allié israélien, Barack Obama, qui a répété qu'il ne laisserait pas l'Iran se doter de la bombe, a, lui, refusé de fixer une telle ligne rouge, suggérant qu'il pourrait se contenter d'un Iran au seuil de la puissance nucléaire (avec la capacité atomique, mais sans fabriquer la bombe). En visite mardi à Berlin, son secrétaire d'État John Kerry a dit "espérer" qu'une "solution diplomatique" serait trouvée entre l'Iran et les grandes puissances.
De son côté, la République islamique répète à l'envi qu'elle a besoin d'une énergie alternative au pétrole, voué à s'épuiser. Elle affirme donc qu'elle enrichit uniquement à des fins civiles - jusqu'à 5 % pour produire de l'électricité et 20 % pour alimenter son laboratoire de recherche médicale, qui sert à diagnostiquer certains cancers. Téhéran revendique son droit à l'enrichissement en tant que signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), que n'ont par ailleurs pas signé Israël, l'Inde et le Pakistan, les trois puissances nucléaires de la région. "Le TNP ne mentionne pas ce droit à l'enrichissement, mais au nucléaire civil", précise toutefois la source occidentale.
Doutes non dissipés
Pour les six puissances chargées de négocier avec l'Iran, la finalité de son programme nucléaire ne peut être que militaire. "Le dernier rapport de l'AIEA indique la poursuite soutenue du programme d'enrichissement d'uranium", rapporte une autre source diplomatique occidentale, qui s'inquiète de l'installation de nouvelles centrifugeuses modernes dans l'usine de Natanz. "Ces nouveaux appareils possèdent une capacité de production nettement supérieure aux précédents", souligne-t-elle. "Si leur nombre reste marginal, ils sont le prélude à une installation en plus grande quantité", prévient-elle.
Censées dissiper les doutes sur la nature du programme nucléaire iranien, les trois dernières visites des experts de l'AIEA sur place se sont toutes soldées par de cuisants échecs. "Nous ne constatons aucune volonté d'ouverture de la part de l'Iran", regrette un diplomate occidental. Pour ne pas avoir respecté ses obligations en matière de nucléaire, la République islamique demeure sous le coup de six résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, dont quatre assorties de sanctions.
Sanctions qui font mal
Ajoutées aux mesures unilatérales des États-Unis et de l'Union européenne, ces sanctions frappent l'économie iranienne en plein coeur. Téhéran a reconnu en janvier 2013 que ses exportations de pétrole avaient chuté de 40 % depuis mars dernier. Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'Iran a été amputé en 2012 de plus de 40 milliards de dollars de ses revenus à l'exportation. Par ailleurs, l'inflation s'est envolée, atteignant aujourd'hui au moins 40 %.
"L'objectif de ces sanctions n'est pas de toucher la population, mais la réalité est là", admet une source occidentale. Et l'approche de la présidentielle de juin prochain, qui ne fait qu'accroître les dissensions qui rongent actuellement le régime iranien, ne risque pas de changer la donne. "Il s'agit pour Téhéran de ne pas montrer de signe de faiblesse avant les élections, ce qui n'incite donc pas au mouvement sur les négociations", analyse la source diplomatique.
Dialogue de sourds
Pour relancer un dialogue au point mort, les grandes puissances mandatées par l'ONU ont tout de même présenté mardi à l'Iran une nouvelle offre "attractive". Elles promettent "une baisse de certaines sanctions sur le commerce de l'or, l'industrie pétrochimique et certaines sanctions bancaires", d'après une source au sein du groupe 5+1 interrogée par l'Agence France-Presse. "Ce n'est pas une révolution, mais une évolution", explique la source diplomatique occidentale. "Il s'agit de progresser de façon graduelle et réciproque en fractionnant les sanctions sur le mode : on donne ceci, vous donnez cela."
En contrepartie, la République islamique doit "arrêter l'enrichissement à 20 %, fermer son site souterrain de Fordo et envoyer son stock d'uranium enrichi à 20 %" à l'étranger. "Si cela ne marche pas, nous augmenterons les sanctions", prévient la source occidentale. "Pas question de fermer le site de Fordo ou d'envoyer à l'étranger notre stock d'uranium à 20 %", a rétorqué mardi l'Iran, qui présente une contre-proposition : "Nous pouvons envisager l'arrêt de l'enrichissement à 20 % contre la levée de toutes les sanctions internationales, notamment celles du Conseil de sécurité", a indiqué à l'Agence France-Presse une source proche de l'équipe de négociateurs iraniens.
"Les Iraniens nous mènent en bateau" (diplomate)
Interrogée par Le Point.fr, une source diplomatique iranienne souligne que tous les efforts occidentaux pour faire renoncer l'Iran à son droit nucléaire seront vains avec les sanctions actuelles. "Seule la levée de la totalité de ces mesures permettra de régler la question du nucléaire", insiste-t-elle. "Commencer par la levée des sanctions avant de négocier, c'est prendre le problème à l'envers", estime de son côté le diplomate occidental. Un exemple qui illustre à merveille l'impasse dans laquelle est plongé le dossier, alors que l'Iran poursuit de façon continue ses activités d'enrichissement d'uranium depuis 2006.
"Les Iraniens nous mènent en bateau, mais ça leur fait mal", souligne le diplomate occidental. "Avec un manque à gagner de 8 % de leur PNB, nous ne sommes plus dans le symbolique : les sanctions sont 100 fois plus fortes qu'il y a un an."