Tribune
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Publié le 9 Mai 2014

Père Frans Homs libre

Grand Format de Benjamin Barthe publié dans le Monde le 9 mai 2014

Une existence engloutie dans la nuit de Homs, quelques lignes dans la presse, et puis s'en va. C'était le 7 avril. Le prêtre hollandais Frans van der Lugt tombait sous les balles d'un homme cagoulé. Personnifiant la résilience des habitants du vieux Homs, assiégé et affamé par l'armée syrienne depuis des mois, il s'effondrait dans le couvent jésuite de Bustan Al-Diwan. En quelques heures, sa biographie officielle a fait le tour de la Toile.

Les sites d'information se sont concentrés sur les derniers mois de sa vie, et notamment son appel à l'aide sur YouTube, où ce septuagénaire dégingandé expliquait sa douleur de voir des parents "chercher de la nourriture pour leurs enfants dans la rue". Et puis la lucarne s'est refermée.

C'est ce que l'on croyait du moins. Car entre-temps, Facebook est entré en ébullition. Des milliers de messages, envoyés par des Syriens du monde entier, ont éclos sur le réseau social, transformé en recueil de condoléances planétaires. Il y a ceux qui évoquent sa "poignée de main virile" et son "sourire apaisant". Ceux qui publient la photo de sa fameuse Coccinelle orange et répètent en boucle sa formule fétiche, « Ilal Amam", "en avant" en arabe. Ceux encore qui se remémorent les randonnées qu'il organisait durant l'été, ces échappées belles dans les montagnes syriennes, garçons et filles mélangés, loin du regard des parents, du curé ou du cheikh.

Pour cette foule d'anonymes, le père Frans, installé en Syrie depuis près de cinquante ans, était bien plus qu'un prêtre. Il était un confident, un père spirituel, un drôle de touche-à-tout, vigneron le matin et psy le soir, un ami qui les a toujours aidés à s'affranchir des pesanteurs de leur société. "Son existence a été guidée par un principe simple : libérer l'homme, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Eglise", confie Samar, Syrienne qui vit à Paris.

Comme beaucoup d'internautes endeuillés, cette artiste peintre est une ancienne des "massir", ces marches en pleine nature, lancées dans les années 1990 et ouvertes à tous, emblématiques de l'esprit du père Frans. Sous nos latitudes, dix jours de sac à dos, de casse-croûte et de nuits à la belle étoile ne forment pas un programme particulièrement subversif. Mais dans un pays autoritaire et conservateur comme la Syrie, organiser une telle virée est une gageure. Il faut désamorcer les soupçons du régime, qui prohibe les rassemblements de plus de dix personnes, vaincre les a priori des responsables religieux, qui voient d'un mauvais oeil le mélange chrétiens-musulmans, et rassurer les parents, qui s'inquiètent de la mixité garçons-filles… Lire la suite.