- English
- Français
Les critiques musicales sont unanimes : Bronislaw est un génie.
Mais Jakob va se révéler un père tyran : il oblige Bronislaw à se produire un peu partout dans le monde, sans répit, et sans lui laisser le temps de s’adonner à certains loisirs extérieurs. En 1896, à 14 ans seulement, le jeune homme se produit aux États-Unis, dans le cadre d’une énième tournée.
En 1910, il épouse l’actrice Elsa Galafres qui donne naissance à leur fils, Johannes. Le mariage ne dure cependant pas et le couple divorce.
À la mort de son père et après la Première Guerre mondiale, Huberman se rend à Paris pour étudier les sciences politiques à la Sorbonne. Les conjonctures politiques qui ont conduit au conflit le préoccupent et il désire s’instruire sur le monde qui l’entoure.
Il ressent l’envie et le besoin de comprendre ce qui se passe en Europe.
Pour autant, il n’abandonne pas la musique et donne à nouveau des concerts. En 1923, il joue notamment aux côtés du compositeur Richard Strauss, en Amérique du Sud et aux États-Unis où il connaît un franc succès.
Artiste internationalement reconnu, il peut se permettre de donner des concerts gratuits pour soutenir les familles laissées dans le besoin par la guerre.
Ida Ibbeken devient alors sa secrétaire, mais aussi la femme dont il tombe amoureux. Elle restera à ses côtés pendant 20 ans. À la mort d’Huberman, elle s’installe en Israël.
L’Orchestre de Palestine est né
En 1929, Huberman se rend pour la première fois en Palestine. Il se produit un peu partout. Il découvre alors le mouvement sioniste et son intérêt pour celui-ci grandit de mois en mois.
En Europe, le nazisme s’installe et Huberman commence à percevoir la catastrophe que sera la prochaine guerre. Très tôt, il refuse de jouer en Allemagne et part personnellement en campagne contre les musiciens qui continuent à s’y produire. En 1933, déjà, invité par son ami Wilhem Furtwangler à jouer dans une série de concerts de l’Orchestre philharmonique de Berlin, il adresse une fin de non-recevoir.
Comme s’il avait compris, avant qu’elle ne soit lancée, ce qu’allait mettre en place l’infernale machinerie destructrice nazie.
« Il a eu comme un pressentiment. Il savait que quelque chose se préparait. Grâce à ses études politiques à la Sorbonne, il avait compris comment fonctionnait l’Europe », explique Josh Aronson, réalisateur d’un documentaire sur la vie d’Huberman, l’Orchestre des Exilés. « Il avait grandi en Pologne, à la fin du 19e siècle et ne connaissait que trop bien l’antisémitisme.
Très vite il a compris que les choses pourraient aller beaucoup plus loin ». Ce pressentiment lui permettra de sauver des dizaines de vies.
En 1934, Huberman visite la Palestine pour la troisième fois. « C’est ma troisième et plus longue visite ici. Elle a provoqué un changement profond dans mon attitude et mon intérêt pour la région », avait-il déclaré à l’époque. L’idée de créer un orchestre en Palestine lui trotte alors dans la tête et va être renforcée par ce qui se passe à 4 000 km de là.
« Qu’est-ce qui motivait Huberman ? L’envie de créer un espace dédié à la musique ou celle de sauver des vies ? Quelle part occupait le plus de place ? », autant de questions que Josh Aronson reconnaît s’être posées avant de faire son film.
En 1933, Hitler commence à chasser les musiciens juifs d’Allemagne. Il n’en fallait pas plus pour qu’Huberman se lance dans la composition de son orchestre en Palestine. Aronson précise : « Former un orchestre prend des années ! Il faut trouver suffisamment de très bons musiciens.
Mais Huberman va profiter de cette fuite forcée des virtuoses allemands pour les auditionner. » Au final, il en retiendra 80, dotés d’un jeu musical de haut niveau. Et va ainsi créer son orchestre.
Sauvés par la musique
Il explique aux musiciens juifs qu’il leur faut quitter au plus vite l’Allemagne pour la Palestine. Et arrache ainsi des familles entières des griffes du nazisme.
En décembre 1936, le nouvel Orchestre philharmonique de Palestine donne son premier concert, dirigé par Arturo Toscanini avec lequel Huberman commence une longue collaboration et amitié. Le pays entier acclame la performance.
Après la première, Huberman continue à faire venir les musiciens d’Europe et les aide à échapper aux SS d’Hitler. La preuve pour Aronson que le violoniste n’est pas uniquement mû par des desseins musicaux, mais bien par des considérations de solidarité avec ses frères juifs en danger.
On estime qu’il a pu sauver quelque 1 000 personnes de la barbarie nazie. À tel point qu’en 1939, alors que la guerre éclate, Huberman reçoit la médaille d’honneur de la mairie de Tel-Aviv.
Pendant la guerre, Huberman continue à jouer partout dans le monde. Il se produit notamment en Pologne, lors d’un concert organisé par les Nations Unies. En 1946, au terme d’une longue tournée exténuante, il retourne en Suisse, son domicile européen, où il s’accorde un peu de repos. Il souhaite retourner en Palestine, mais son état de santé ne le lui permet pas. Huberman s’éteint en juin 1947, dans sa maison des environs du lac de Genève.
À la création de l’État d’Israël, l’Orchestre philharmonique de Palestine prend le nom d’Orchestre philharmonique d’Israël.
Huberman est aujourd’hui reconnu comme un musicien exceptionnel. Avec la réputation de jouer avec une rare intensité et celle d’un homme de bien qui a su s’élever contre le nazisme.
À l’occasion des 75 ans de l’Orchestre philharmonique d’Israël, cette année, le centre et la bibliothèque musicale Felija Blumental de Tel-Aviv ont organisé une fabuleuse exposition sur le violoniste. Ce lieu conserve de nombreuses archives sur la musique et la vie d’Huberman. Grâce à un don de la dernière compagne du violoniste, Ida Ibbeken, qui, en 1951, lors de la création de la bibliothèque, lui a légué les archives sur Huberman dont elle disposait.